La Femme Celte
par des chemins qui, pour reprendre les termes d’une phrase de Simone de
Beauvoir, sont « cachés, tourmentés, muqueux, humides, pleins de sang,
souillés d’humeurs ». Voilà pourquoi les chemins qui mènent au château du
Soleil, symbole de la Féminité, car le Soleil à l’origine est féminin, sont des
chemins si secrets, si dangereux, si hérissés de monstres, avec tant de
marécages, de fondrières, de torrents infernaux. « Le corps réceptacle de
la Femme, c’est l’expression naturelle de l’expérience vécue par elle
lorsqu’elle porte intérieurement son enfant ou lorsque l’homme entre en elle
lors de l’acte sexuel. Elle est l’urne de vie dont naît la vie, qui porte tout
ce qui vit, pour ensuite le libérer, l’expulser et le répandre sur le monde…
Toutes les fonctions vitales de base se produisent dans le cadre de ce vase
dont l’intérieur représente l’inconnu. Sa sortie et son entrée ont une
signification spéciale. La boisson et la nourriture qu’absorbe ce vase
déclenchent toutes les fonctions créatrices… Tous les orifices naturels, yeux,
oreilles, bouche, nez, rectum et zone génitale, ainsi que la peau, ont exercé
en tant que lieux d’échange entre l’extérieur et l’intérieur, une fascination
extraordinaire sur les premiers hommes [80] . » Et comme la
mémoire des hommes est des plus tenaces, nous retrouvons cette fascination
trouble et frappée de honte dans les différentes pratiques amoureuses. En
effet, le baiser buccal, le baiser sur les yeux, la langue dans l’oreille, la
pénétration vaginale normale, les différents actes classés comme
« perversions » (cunnilingus, coït anal, goût pour la sueur, les
sécrétions intimes, les matières fécales, l’urine, les linges souillés, etc.)
ne sont pas autre chose, en définitive, et avec quelque répugnance qu’on puisse
les considérer, que l’élan normal pour retrouver le chemin de l’intérieur,
cette fameuse entrée ouverte au palais fermé du roi dont parlent les textes alchimiques.
Cette attirance de l’homme vers la femme, en même temps que
sa répugnance, c’est un fait biologique incontestable. Tous les mythes anciens,
celtiques comme les autres, en portent la marque. Nous en avons vu quelques
exemples, notamment celui de la laideur de la Femme [81] .
Il y en a bien d’autres concernant la femme elle-même. Cette ambivalence des
sentiments masculins à l’égard de la femme persiste dans la littérature de tous
les pays. Nous en trouvons une violente expression dans un court récit peu
connu de Georges Bataille, Dirty , et le nom de
l’héroïne, qui sert de titre, est à lui seul tout un programme [82] .
Mais ce qu’il y a de remarquable, c’est que dans la tradition proprement
celtique, jamais la Femme n’apparaît aussi monstrueuse, aussi ignoble qu’elle
peut l’être dans la littérature grecque, la littérature latine, ou les
littératures modernes. On dirait que les Celtes ont tenu à respecter cet Être
mystérieux, qui leur faisait peur, certes, mais qui était tout de même l’image
d’une certaine perfection, d’une certaine pureté, comme il ressort de l’analyse
minutieuse des romans courtois du XII e et du XIII e siècle, romans qui sont tous d’inspiration celtique.
C’est plutôt dans les quêtes de la Femme Engloutie que réapparaissent tous les fantasmes masculins. La Femme
est toujours dans un château, dans une caverne, dans une île, dans un palais au
fond des eaux. Là où elle se trouve, tout n’est « que luxe, calme et
volupté ». Mais il faut parvenir dans ce Saint des Saints. Et dans tout
l’attirail mythologique qu’ont employé les conteurs pour décrire l’arrivée de
l’Audacieux qui tente d’accéder jusqu’à la Femme, nous découvrons toutes les
répulsions qui font à la fois office de barrière et d’excitant au désir de
l’homme. Bien entendu, les structures paternalistes de la société celtique
païenne, puis les impératifs moraux du Christianisme n’ont fait qu’accentuer
ces répulsions, leur donnant, par un choix très évocateur d’images, une force
redoutable sur l’imagination. La Femme Engloutie est bien protégée. Les interdits
sont insurmontables pour le commun des mortels.
Considérons le mythe de la Caverne. Il n’est point besoin
d’insister sur la signification utérine, et même vaginale des grottes sacrées
dans toutes les religions du monde, y compris la religion chrétienne. Ce
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