La Femme Celte
Saint-Esprit ( Ibid. , p. 93-101).
Dans cette deuxième aventure de Perceval, le schéma du Mythe
de la Femme Engloutie se trouve tracé intégralement, en même temps que son
évolution sur le plan de l’interprétation. Comme Dahud-Ahès qui règne encore
dans les profondeurs de la mer sur la Cité d’Ys, et qui invite ses amants à la
suivre, la Demoiselle à la Nef, parée des beaux vêtements qui symbolisent les
richesses matérielles ou spirituelles qui se trouvent en-bas , demande à Perceval de venir avec elle
partager le festin d’immortalité qu’elle lui prépare. Après cela, par l’acte
sexuel qui sera une sorte de mort pour Perceval, elle lui fera réintégrer le
monde d’avant la naissance en le plaçant dans une situation paradisiaque où
plus rien n’existe que la béatitude inconsciente de l’être primitif. Par un
dernier sursaut d’orgueil mâle, et aussi de peur de l’engloutissement, Perceval
se libère de l’étreinte. Il y a la même idée dans l’histoire de Merlin et de
Viviane : Merlin, ayant appris sa magie à Viviane, celle-ci se sert de ses
pouvoirs pour enfermer Merlin dans un château d’air, hors du monde, et pour ce
faire, elle accomplit le geste rituel de tourner neuf fois autour de son amant.
Mais Merlin, qui est parfaitement conscient de ce qui va lui arriver, accepte
le retour à l’état primitif. C’est volontairement qu’il s’y engloutit.
Perceval, lui, n’est pas mûr pour une telle expérience. Il ne la vivra que plus
tard, en découvrant le Graal, lequel a exactement la même signification, mais
avec des reflets mystiques. D’ailleurs le Graal, comme le Pavillon rond, comme
le Château d’Air de Merlin, sont les images du ventre maternel : le Graal
contient du sang, et n’importe qui ne peut pas se pencher sur lui, car ce geste
implique la mort. Galaad en regardant le fond du Graal ne peut plus retenir sa
vie.
Cependant l’interprétation chrétienne donnée dans ce passage
de la Quête du Graal est hautement
significative. Perceval aurait été à jamais occulté, c’est-à-dire englouti, mis
à l’écart du grand soleil qui est le Saint-Esprit.
Il s’agit bien d’une récupération d’un mythe païen : car le soleil désigne
la vie apparente, la vie matérielle. Ainsi mis à l’écart, Perceval aurait
bénéficié du soleil noir , du soleil spirituel
qui ne brille que pour les initiés, ceux qui savent voir dans l’obscurité. Mais
une telle conception paraissait dangereuse aux adaptateurs chrétiens de la
légende. Tout ce qui est noir est suspect parce qu’incontrôlable ; il faut
donc l’interdire. Et c’est pourquoi la Demoiselle à la Nef est une créature de
« l’Ennemi », qu’on se garde bien de nommer par son nom d’ailleurs,
car il ne faut jamais donner le nom véritable des choses ou des êtres qui
présentent un danger.
Tout ce qui est féminin est plus ou moins en rapport avec
l’« Ennemi », au Moyen Âge. On se demande pourquoi on n’a pas fait de
Satan un personnage féminin, pendant qu’on y était. Mais le fait est là :
l’« Ennemi » règne sur les femmes ; c’est lui qui préside au
sabbat des sorcières ; c’est lui qui agit sur les femmes. Il a d’abord
incité Ève à pécher et à faire pécher Adam. Il continue à vouloir faire pécher
l’homme en usant des artifices, des séductions et de la sexualité de la femme.
« L’iniquité de l’homme vient de la femme et l’iniquité de la femme vient
d’elle-même », dit l’Ecclésiaste. Et les Juifs répètent chaque jour dans
leur prière matinale : « Soyez béni, ô Seigneur, notre Dieu, roi de
l’Univers, de ne m’avoir pas fait naître femme ». À partir de là, le
christianisme n’a fait qu’accentuer cette haine de la femme jusqu’au délire,
s’accrochant aux moindres détails physiologiques, et les exploitant de manière
à constituer des barrières prohibitives infranchissables. Les Pères de
l’Église, saint Jérôme étant mis à part, sont les types parfaits de ce qu’on
appelle de nos jours des « obsédés sexuels ». Tertullien, après avoir
dit que la femme était « la porte du diable », la définit encore
comme « temple édifié au-dessus de l’égout », et saint Augustin déclare
gravement : « inter faeces et urinam
nascimur ».
Car nous voici au cœur du problème. La femme est réellement
un temple, comme le dit Tertullien, mais pour accéder à ce temple, il faut
passer
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