La Femme Celte
uterum généralisé, à un retour à la
Mère, à un véritable paradis dans la protection imaginaire ou réelle d’une
matrice chaude et humide, nourrice et gardienne d’un foyer qui ne s’éteindra jamais :
l’éternel bonheur que recherche l’homme et qui est la carotte avec laquelle on
le fait marcher depuis des millénaires, en prenant bien soin de l’éloigner
davantage quand l’homme est tout prêt à l’atteindre. Il faut que l’homme vive
dans un état d’angoisse permanente, qui est la
condition même de son activité . Donc la société alimente cette angoisse
par tous les moyens : bien-être futur du capitalisme, société paradisiaque
et égalitaire du marxisme, paradis ou enfer post
mortem , etc. Et par-dessus tout, il importe de culpabiliser les élans
naturels de l’être humain. Or ces élans naturels étant, la démonstration n’est
plus à faire depuis Freud, d’essence spécifiquement sexuelle, il importe de les
culpabiliser à leur base même : d’où le rejet du sexe comme ignoble,
dégoûtant, malodorant, dangereux, infernal. Mais attention, l’homme, le mâle,
n’est pas en cause ; lui a des « parties nobles ». Comme dit
avec pertinence Simone de Beauvoir, « l’homme bande, la femme
mouille ». Il ne faut pas confondre. C’est donc la Femme qui sera
assimilée au Sexe, et rejetée dans les ténèbres. Et si elle surgit des
Ténèbres, elle sera couverte d’ordures, elle sera ignoble, dégoûtante.
Notre-Dame de la Nuit est devenue la Grande Truie qui se vautre dans la boue [119] .
Voilà pourquoi, à côté de Goleuddydd, les Celtes ont inventé
la figure de Twrch Trwyth [120] . Voilà pourquoi, dans
le Mabinogi de Math , les deux fils de la
déesse Dôn s’étant rendus coupables vis-à-vis de leur oncle (maternel) Math,
celui-ci les condamne à prendre des formes d’animaux, et particulièrement la
forme d’un sanglier et d’une truie. Voilà encore pourquoi saint Antoine
l’Ermite, qui vivait avec un cochon, se voit tout à coup l’objet de tentations
d’ordre charnel. Il ne pouvait en être autrement, du moins dans l’imagerie des
hagiographes [121] . Toute une littérature
aura pour objet d’enfouir ce cochon qui sommeille au plus profond de la nuit.
Il y aura ce qu’on fait pendant le jour, à la lumière du soleil, et ce qu’on
fait sans le dire, pendant la nuit. La Phèdre de Racine, qui est une des
incarnations de Notre-Dame de la Nuit, ne franchit jamais les limites de
l’ombre et du soleil. Elle craint la lumière du soleil. Et quand elle meurt,
elle rend au jour qu’elle souillait toute sa pureté. Et nous trouvons cette
même idée chez un auteur contemporain dont le tempérament est, il faut bien le
dire, très racinien, François Mauriac, dans un passage de Thérèse Desqueyroux , elle-même lointaine héritière
de la Déesse-Truie :
« Un soir à Paris, où sur le chemin du
retour ils s’arrêtèrent, Bernard quitta ostensiblement un music-hall dont le
spectacle l’avait choqué : “Dire que les étrangers voient ça ! Quelle
honte ! et c’est là-dessus qu’on nous juge…” Thérèse admirait que cet
homme pudique fût le même dont il lui faudrait subir dans moins d’une heure les
patientes inventions de l’ombre. »
Quel aveu ! On pense à ces membres des ligues de
moralité de toute nationalité qui se précipitent à des spectacles aussi insipides
que Hair ouÔ Calcutta ! pour avoir le plaisir d’être choqués
et de protester vigoureusement. Cela devient même de la rage à certaines
époques dites de « puritanisme ». La femme est dépersonnalisée,
désexualisée, engoncée dans des vêtements qui non seulement cachent son corps –
il est obscène – mais l’oppriment au détriment de sa santé – il faut châtier
l’objet du péché. Le Tartuffe de Molière est d’une cinglante vérité, hélas, et
pas du tout surgi de l’imagination. N’oublions pas ce que disait le célèbre Mgr Dupanloup
à ses ouailles féminines : « Vous avez du divin en vous, mais vous
avez en même temps cette faiblesse intime qui vous a été léguée par la faute de
votre première mère, et qu’il vous faut surmonter au milieu de toutes les
sollicitations qui cherchent à l’ébranler. » C’est encore un aveu, et
dûment autorisé. N’oublions pas non plus certains personnages assez sinistres
de l’époque 1900 (la Belle Époque, mais pour qui ?), comme le Dr Pouillet
qui souhaitait
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