La Femme Celte
capitaliste, car non
seulement elle permet de maintenir la notion d’angoisse et celle de culpabilité
qui sont les conditions optima du Rendement,
mais elle représente ce qui est interdit, donc désirable dans une société
apparemment austère et intransigeante et qui ne peut être intransigeante sur
les mœurs que si elle tolère – et poursuit – des écarts. Qu’on se souvienne de
la parole de Tertullien – « Le palais est construit juste au-dessus de
l’égout » (le mot latin employé, cloaca ,
a même un double sens). Que ferait une bonne société paternaliste sans
prostitution et sans pornographie ? On en frémit rien que d’y penser.
On dira qu’il y a loin de Notre-Dame de la Nuit, telle qu’on
la retrouve dans le mythe celtique, à ces considérations sur la pornographie
capitaliste. Sûrement pas. La société paternaliste sait très bien qu’elle ne
peut pas étouffer complètement Notre-Dame de la Nuit. Elle ouvre de temps à
autre quelques soupapes de sûreté, quelques petites méthodes de défoulement
momentané, en s’arrangeant pour en ramasser le bénéfice d’ailleurs. Mais
parfois le défoulement devient un raz-de-marée qui menace de submerger, non pas
la Ville d’Ys, mais l’orgueilleuse cité sur la Montagne, comme nous le verrons
à propos de la Révolte de la Fille-Fleur, ce bel objet fabriqué par les hommes,
et qui, ô désespoir, n’obéit plus à son créateur. Il nous reste cependant, avant
d’en arriver là, à étudier dans la tradition celtique quelques autres aspects
de Notre-Dame de la Nuit.
LA BICHE AU BOIS
C’est dans le cycle irlandais de Leinster que nous
découvrons le plus clairement la légende de la déesse-cervidé. Le contexte est
assez récent, puisque le cycle de Leinster, ou de Finn, qu’on appelle
volontiers cycle ossianique, est le plus tardif des grands ensembles
mythico-féeriques qui constituent la littérature gaélique. Le cycle a survécu
d’ailleurs dans le folklore de l’Irlande et de l’Écosse, de telle façon que
nous ne connaissons certaines légendes dans leur intégralité que grâce à des
récits oraux recueillis aux XVIII e et XIX e siècles. C’est le cas pour l’histoire de
Diarmaid et Grainné. Il ne fait cependant aucun doute, étant donné le grand
nombre de récits sur les mêmes sujets et les mêmes personnages, récits
irlandais ou écossais, qui concordent dans les grandes lignes, il ne fait donc
aucun doute qu’il s’agit d’une véritable tradition orale remontant bien loin
dans le temps.
La Naissance d’Oisin (Irlande) : Finn, le roi des Fiana , et
ses hommes sont à la chasse. Ils aperçoivent une biche et la poursuivent. Mais
aucun chasseur, aucun chien ne peut la rattraper. Seul Finn, accompagné de ses
deux limiers, Brân et Scolan « qui ont des esprits d’hommes », continuent
la poursuite. La biche se couche dans l’herbe et les chiens, au lieu de se
montrer agressifs, jouent avec elle et lui lèchent la figure et le corps.
Émerveillé, Finn ramène la biche avec lui dans sa demeure, et la nuit, il voit
paraître une belle jeune fille qui lui déclare s’appeler Sadv et être la biche
qu’il avait chassée toute la journée. C’est à cause de la magie du druide Fîr
Doirch, dont elle avait repoussé les avances, qu’elle avait la forme d’une
biche. Mais un serviteur du druide lui avait expliqué que si elle parvenait à
l’intérieur de la forteresse des Fiana , le
druide n’aurait plus aucun pouvoir sur elle. Finn tombe amoureux de Sadv et
file avec elle le parfait amour. Sadv est bientôt enceinte. Un jour que Finn
est absent, le druide Fîr Doirch revêt l’aspect de Finn et vient appeler Sadv
hors de la forteresse. Sadv se précipite au-devant de celui qu’elle croit être
Finn. Le druide la transforme de nouveau en biche. Sadv essaie de revenir vers
la forteresse : les deux chiens du druide l’en empêchent et l’entraînent
dans les bois. Quand il apprend cela, Finn se laisse aller à sa douleur, puis,
pendant sept ans, il parcourt toute l’Irlande, avec ses limiers, à la recherche
de la biche. Un jour, ses chiens s’arrêtent autour d’un petit garçon et lui
prodiguent des marques d’amitié. Finn s’étonne de la ressemblance entre Sadv et
le jeune garçon. Il l’emmène avec lui et le fait éduquer. Quand il peut parler,
il révèle qu’il a été élevé par une biche, et que la biche avait été emmenée
par un homme noir qui l’avait touchée de
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