La Femme Celte
sont arrivées à la
mystérieuse fontaine de Barenton. Il a versé de l’eau sur le perron de la
fontaine, un orage épouvantable a éclaté, dépouillant en particulier de toutes
ses feuilles l’arbre (le pin) qui se trouve près de la fontaine. « Alors
le temps devient serein ; aussitôt les oiseaux descendent sur l’arbre et
se mettent à chanter ; et je suis sûr, Kaï, de ne jamais avoir entendu, ni
avant, ni après, de musique comparable à celle-là. Au moment où je prenais le
plus de plaisir à les entendre, voilà les plaintes venant vers moi le long de
la vallée. » Un chevalier arrive reproche à Kynon son geste qui a dévasté
le pays, et le provoque en combat. Kynon est vaincu (J. Loth, Mabinogion , II, 13-14). Voici la description du
chant des oiseaux dans l’ouvrage correspondant de Chrétien de Troyes :
« Je vis alors sur le pin des oiseaux assemblés en tel nombre qu’il n’y
avait branche ou feuilles qui n’en parussent toutes couvertes, et l’arbre en
était plus beau, et tous les oiseaux chantaient, mais chacun un chant différent
et s’accordant ensemble en une merveilleuse harmonie. Je me réjouis de leur
joie, j’écoutai jusqu’au bout leur office ; je n’avais jamais ouï
auparavant de si belle musique ; je ne pense pas que nul homme puisse en
entendre une semblable à celle-ci qui me fut si suave et plaisante que je
croyais rêver. Quand le chant cessa, j’entendis un galop qui s’approchait ( Le Chevalier au Lion , trad. A. Mary, p. 133).
Très intéressé par ce récit, Owein-Yvain s’en va à la fontaine et renouvelle
l’expérience pour son propre compte. Il blesse mortellement le chevalier qui
l’attaque et finit par épouser la Dame de la Fontaine, veuve du Chevalier Noir,
parce qu’elle avait besoin de quelqu’un pour défendre sa fontaine. Cette Dame,
appelée Laudine chez le seul Chrétien de Troyes, s’est laissée convaincre par
les arguments de sa servante-fée Luned, toute dévouée à Owein-Yvain : si
son mari a été tué, c’est qu’il ne valait pas grand-chose à côté du vainqueur.
En dehors d’une interprétation historique qui voit dans le
chant des oiseaux sur le Pin de Barenton la marque de l’étonnement d’un auteur
continental devant le chant gallois qui serait à l’origine de la musique
polyphonique et de l’ Ars Nova [138] ,
on peut dire que ces oiseaux sont vraiment magiques : ils plongent celui
qui les écoute dans un ravissement qui frise l’extase et qui lui fait oublier
sa propre existence. Leur chant surgit après la tourmente, comme pour retenir
l’audacieux qui s’est permis de déclencher le mécanisme diabolique de la Tempête,
et permettre ainsi au défenseur de la Fontaine d’arriver et de le surprendre
« en plein rêve ». Il ne faut pas oublier non plus que le texte
gallois, plus proche de l’archétype, précise que tous les êtres vivants ont été
tués par la tempête et que l’arbre, le pin, a été dépouillé de toutes ses
feuilles. Or si les oiseaux arrivent ensuite, c’est qu’ils n’appartiennent pas
au monde réel, ce sont des êtres féeriques comparables aux Oiseaux de Rhiannon.
Il y a bien plus que cette ressemblance. Le personnage de
Laudine, la Dame de la Fontaine, n’a guère retenu l’attention des mythologues,
et pourtant, il va nous en apprendre beaucoup. Si l’on comprend bien cette
histoire, la fontaine, son pouvoir magique, et par conséquent les oiseaux,
appartiennent de droit à Laudine. Le Chevalier Noir vaincu par Owein n’est en
quelque sorte qu’un prince consort chargé de défendre la fontaine. Laudine, en
parfaite souveraine, le remplacera par quelqu’un de plus fort, c’est-à-dire Owein,
pour que celui-ci joue le même rôle. Nous voyons là incontestablement une
suprématie de la part de la Femme, et la suite de l’histoire, où Owein, ayant
obtenu congé pour un certain laps de temps et n’étant pas revenu dans les
délais fixés, est renié par la Dame, ne fait que confirmer cette idée. D’autre
part, Laudine s’identifie avec la fontaine, qui est un symbole féminin
parfaitement clair : le geste d’Owein versant de l’eau sur le perron de la
fontaine est un geste érotique indéniable [139] , de nature œdipienne,
consistant dans le viol de la Femme, autrement dit le viol de la Déesse Mère.
D’ailleurs, l’auteur gallois n’a pas éprouvé le besoin de nommer autrement le
personnage que par la périphrase « Dame de la
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