La fête écarlate
voulu pouvoir chevaucher… rouler en litière…
– Il te faut trois mois pour guérir. Le moindre heurt, la moindre agitation remettraient tout en cause.
– Je voulais voir le roi…
– Son destin, comme le tien, sera ce qu’il doit être, et quoi que tu en penses, tu ne peux en changer le cours.
Cessant d’examiner des livres, Calveley se détourna :
– Trois mois !… Vais-je devoir attendre trois mois ?
Ogier grogna sous l’effet d’un déplaisir pénible : Calveley devait le quitter. Parce que leurs suzerains se détestaient, leur amitié naissante se trouvait ruinée avant même qu’ils eussent appris l’un de l’autre autre chose que leur courage et leur persévérance.
– Vous n’êtes ni mon prisonnier ni mon otage, Hugues. Après tout ce que vous avez fait pour moi, je ne puis vous retenir… Savez-vous que d’ici vous me semblez… démesuré ? Cela ne m’avait pas marqué quand vous étiez avec Talebast !
– Je devais avoir les pieds dans un creux et de plus, après les coups que j’avais reçus, je courbais l’échine… Vous avez près de vous, par la taille et non les mérites, le plus grand guerrier de la Grande île.
L’Anglais sourit, et cette joie sans excès aggrava le désarroi d’Ogier. Qu’allait-il devenir, lui, entre ces murs étranges ? Trois mois, cela le menait, jour pour jour, au 21 juillet. Si la mer ne les contrariait pas, les Anglais seraient entrés profondément en Normandie.
– Il me faudrait des vêtements, dit Calveley en s’asseyant sur un coin de la table. Il me faudrait un cheval… une épée… Hélas ! je ne puis les payer.
– Vous les aurez, dit Benoît Sirvin. L’argent et l’or ne me sont rien… À ce propos, Ogier, j’ai fourni à ton écuyer de quoi racheter ton cheval et ton armure aux tournoyeurs qui les avaient conquis.
– C’était vous !
– Thierry Champartel est venu me trouver. J’ai apprécié sa requête… Il était tout endolori de ta mésaventure. Je lui ai dit de suivre tes conseils… Il chevauche vers Paris… Par sûreté, et surtout pour qu’il le suive, il a dû attacher ton chien à une corde.
Ogier voulut parler, exprimer sa reconnaissance ; un geste du vieillard l’en dissuada.
– En l’état où vous êtes, l’Anglais, deux jours de repos et de bonne nourriture vous sont nécessaires.
– Votre accueil, pour le Goddon que je suis, me touche !
D’un geste, le mire éloigna ce propos.
– Même si vous n’aviez pas été le compagnon d’infortune de Fenouillet, je vous aurais reçu. Peu me chaut d’où vous venez et qui vous êtes : il suffisait que vous soyez dans la détresse pour que je vous aide… comme naguère on m’aida… Odile, va leur préparer à manger… Nous apporterons un grand matelas pour ces gars… Ils dormiront ici…
La servante acquiesça et s’éloigna en silence.
– Mon nom est Calveley, dit l’Anglais. Par Boniface, mon saint patron, je prierai pour vous sitôt de retour à Bunbury (218) .
Tourné vers Ogier, et souriant dans sa barbe neigeuse, Benoît Sirvin soupira :
– Je t’avais dit que je n’attendais rien de bon pour toi de ce tournoi… Les astres étaient formels… Cette fille, l’Isabelle, est folle, mais les juges se sont conduits comme des meurtriers. Il est vrai qu’ils sont subjugués par Amaury de Lôme…
– Quoi ?… Le juge Amaury est Amaury de Lôme ?
– Oui… Pourquoi fais-tu pareil visage ?
– Parce que ce perfide, naguère, a commis un attentat impardonnable contre mon père… J’aurais dû penser que Blainville étant à Chauvigny, ses satellites y seraient aussi !… Sa voix ne m’était pas inconnue…
Il retrouverait Amaury de Lôme ainsi que ses complices : Roland de Sourdeval, Michel de Fontenay, et les deux clercs : Huguequin d’Etreham et Adhémar de Brémoy…
Il fut pris d’un accès de sincérité presque féroce :
– Il vaut mieux que vous le sachiez l’un et l’autre : Fenouillet est un nom d’emprunt. Je m’appelle Ogier d’Argouges et suis Normand. Il y a six ans, mon père a été injustement dégradé ; les lions de nos armes ont été diffamés par Richard de Blainville aidé par quelques malandrins tels qu’Amaury de Lôme… Je les châtierai tous, et Blainville en premier… C’est un traître. Vous le savez, n’est-ce pas, Hugues ?
Calveley hocha la tête.
– Je comprends que tu sois troublé, reprit familièrement Ogier. Si tu n’étais
Weitere Kostenlose Bücher