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La fête écarlate

La fête écarlate

Titel: La fête écarlate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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septante-huit ans. Je trépasserai dans deux ans : je l’ai lu dans le ciel… Quand Jacques de Molay est mort, j’en avais quarante-six… Quand il fut arrêté avec les autres, tous les autres, trente-neuf (222) …
    – Vous avez échappé à Nogaret !
    Benoît Sirvin revint s’adosser à l’échelle. Posant un long regard sur sa librairie, il dit avec une ferveur brusque et brûlante :
    – Le Temple de Paris, voilà la plus noble citadelle que j’aurai connue… Je l’ai quitté une nuit… le 12 octobre 1307… Je menais un chariot de la même espèce que celui de ce marchand qui t’a conduit jusqu’ici… D’autres suivirent… Par un divin miracle, nul ne nous inquiéta… C’est après que je suis parti pour Salerne afin de devenir ce que je suis… Voilà, tu as ta suffisance… Plus tard, je t’en dirai davantage… Ne confie rien de tout ceci à personne… Cela te porterait malheur.

IV
    Jamais on n’avait vu pareil été. Le soleil semblait ivre et sous ses flamboiements les nuées pâlissaient. Le vent soufflait une haleine ardente et rare sur les champs où, de l’aube au couchant, les hurons moissonnaient, étonnés que la nature eût été si précoce. À l’odeur des gerbes assemblées autour des aires de battage s’ajoutait celle des fruits auxquels, des abeilles aux merles, la gent ailée donnait l’assaut.
    Confiants en leurs châteaux ainsi qu’en leurs murailles d’enceinte, les manants chauvinois vivaient mollement ces jours dorés jusqu’au seuil des nuits blondes, jonchées d’étoiles ; et s’il leur advenait, vacant à leurs affaires, de s’arrêter devant la maison de Benoît Sirvin ou d’y entrer pour obtenir un remède, leur gaieté ne cessait d’ébahir Ogier.
    « Ne sentent-ils pas que cette paix nous prépare des orages terribles ? Les arcs, les épées, les piques des hommes d’armes et les faux, faucilles et fléaux de bois des culs-verts ne pourront bien longtemps retenir les Goddons ! »
    Comme à chaque réveil, ce matin-là, le garçon perplexe s’interrogeait. On était le jeudi 20 juillet ; d’après ce qu’il savait, les aimées anglaises où Raoul de Cahors devait exercer un commandement auraient dû fouler la terre poitevine depuis six ou sept jours ; or, la contrée restait d’une tranquillité superbe.
    « En va-t-il de même en Normandie ? Édouard III et Harcourt ont-ils dû renoncer à leur invasion ?… Non, impossible : avec un pareil temps la mer leur est propice… »
    Une fois de plus, Ogier imagina son terroir livré aux conquérants, et cette douceur brûlante, autour de lui, plutôt que de l’apaiser, aggrava sa mélancolie : Thierry avait-il pu rencontrer le roi ? Était-il maintenant de retour à Gratot ainsi que Raymond, les chevaux et Saladin ?
    Il avait compté tristement les semaines ; le moindre galop sur les pavés de la rue le faisait frémir d’impatience. Souvent, penché à la lucarne de ce galetas où il gîtait, il trompait son oisiveté en épiant les Chauvinois ou en contemplant les douces collines d’en face. Il ressentait comme un appel de ces rondeurs moussues d’herbes et d’arbres, pareilles à celles du Cotentin, et ce trop bel été qu’il eût aimé traverser d’un pas sûr ne cessait de l’oppresser. Là-bas, au-delà des créneaux de l’enceinte et conduisant, il le savait, vers Poitiers, la route semblait une longue tresse soyeuse abandonnée par Blandine.
    Une main se posa sur son épaule. Benoît Sirvin. Il ne l’avait pas entendu monter. Le mire souriait :
    – Regarde… Voici un tranchet sous lequel ton plâtre ne résistera guère… Va t’allonger que je délivre cette jambe.
    – Mais c’est demain, si j’ai bien compté, que vous devriez le faire !
    Trop ahuri, le garçon n’osait bouger. Sirvin le poussa vers le lit :
    – Voici une semaine que tu peux te mouvoir sans trop appuyer sur ta jambe. As-tu peur ?
    La question, posée sans ironie, contraignit Ogier à la sincérité :
    – J’ai grand-peur… Peur que mon os se casse… Peur de clopiner autant que Godefroy d’Harcourt…
    Chancelant, il alla s’étendre sur sa couche. Aussitôt, le vieillard s’attaqua aux bandelettes de tissu plâtreux enroulées autour du membre rompu de la cheville au genou. Bientôt la jambe apparut, blanche, décharnée, marquée d’une cicatrice rosâtre à l’emplacement du coup. Ogier, assis, l’examina jusqu’à s’en faire mal aux yeux. Son cœur battait

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