La fête écarlate
approcher le roi, celui-ci n’a-t-il pas cru ses paroles ? »
Tandis que Benoît Sirvin bandait l’épaule du sergent, Ogier demanda :
– Avancent-ils vélocement ?
– Hélas ! oui… Édouard a divisé son ost en trois batailles (232) . Une conduite par son fils, assisté du comte de Northampton, son connétable, et du comte de Warwick, son maréchal ; une autre sous son commandement, celui d’Harcourt et de Cobham ; enfin, la dernière menée hardiment par l’évêque de Durham…
– Un clerc ! s’exclama Benoît Sirvin. Cette guerre est-elle aussi une Croisade ?
– Oh ! messire, dit Ogier, quand on connaît Fort d’Aux, ses hommes et leurs actions, y a-t-il lieu de montrer tant d’ébahissement ?
Après les avoir regardés l’un et l’autre, Jean Lemosquet poursuivit :
– Barfleur est tombé le 14 ; il n’en demeure que des ruines, et les nefs de guerre, dans le port, ont été coulées… Cherbourg, à ce qu’on dit, a été pillé et abandonné aux flammes. Les nobles et gros bourgeois, pris en otages, ont été emmenés dans la Grande Ile… Montebourg et Valognes ? Il n’en reste que des pierres noires et rouges : Édouard avance à pas sanglants… Il était le 19 à Saint-Côme-du-Mont, proche de Carentan. Les manants avaient détruit le pont sur le canal ; il l’a fait rétablir par ses charpentiers avant de se revancher sur la ville… Et c’est là que j’ai aperçu Godefroy d’Harcourt…
– Comment a-t-il pu, lui, commettre tant d’actes immondes… ou plutôt les laisser commettre !
– Il commande, mais Édouard est son suzerain. Il lui doit respect et sujétion, et quelque puissante que soit sa goule, il la ferme devant l’Anglais… À Carentan, j’ai vu Nicolas de Grouchy, Roland de Verdun et Roland de Sourdeval…
– Sourdeval, je le connais !… Continue…
–… livrer la ville sans combat !… Et Sourdeval et Richard de Grouville se sont ralliés aux Goddons…
– De la part de Sourdeval, rien ne peut m’étonner… Ensuite ?
Le sergent soupira :
– Ensuite, je ne sais plus rien, sinon que j’ai retrouvé le sire de Chiffrevast non loin de la cité. Il m’a dit qu’il y avait si grande confusion qu’il me fallait aller prévenir le duc Jean à Aiguillon… Il m’a donné deux hommes et en a envoyé deux autres à Vincennes au cas où aucun message n’aurait atteint le roi… Car il pensait que le vieux Bricquebec s’était enfui après avoir fourni ses coups d’épée…
– Tout de même, dit Ogier, le vieux Bertrand manque de décence : vivre dans la demeure de son ennemi, alors qu’il a son châtelet tout proche !… C’est aussi répugnant qu’une femme recevant son amant dans le lit de son mari.
– Ne me parlez pas des femmes ! dit Lemosquet. Les pauvres : on les viole, on tue leurs enfançons sous leurs yeux avant de les occire elles aussi.
Benoît Sirvin achevait de coudre ses bandes ; il dit, compatissant :
– Te voilà bien remiré (233) . Ne quitte pas cela avant quatre jours, Lemosquet.
– Harcourt allié à Sourdeval ! s’exclama Ogier. Il y a de quoi devenir enragé !
– Il n’est pas seul à côtoyer Édouard III, ajouta le messager. Moult gens de par chez nous et des grandes familles de France le compagnent… Naguère, il n’y avait qu’un malandrin, Robert d’Artois, pour aider les Goddons. Maintenant, on dit qu’ils sont plus d’une douzaine (234) … Faut que j’ajoute que comme ils n’avaient pas touché leurs sous, nos mercenaires génois ont guerpi.
– Il faut se battre ! Repousser ces maudits Goddons à la mer !
Ogier se sentit aussitôt méprisé. « Alors, que fais-tu là, toi ? » demandait le regard moqueur du sergent. Benoît Sirvin mit un terme à sa confusion :
– Allons, Lemosquet, dit-il, te voici en état de poursuivre… Va chez Rémy Ferrier tout en bas – on te montrera le chemin – et fais l’échange de ton cheval… Dis-lui que tu viens de ma part… As-tu de quoi payer ?
– Oui.
– Va ensuite au Beau Soleil t’emplir la panse… Et que Dieu te garde !
Le messager se leva ; Ogier le retint par le coude :
– Ho, l’homme. Tu dis qu’il y a trois corps d’armée anglais… Que s’est-il passé du côté de Coutances ?
Lemosquet remit sa chemise et son haubergeon avec l’aide du mire, puis son tabard lacéré.
– Je l’ignore, mon gars… À force de reculer dans le plus grand désarroi, on ne sait
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