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La fête écarlate

La fête écarlate

Titel: La fête écarlate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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accueillir sur son cœur cette rouge statue de la stupéfaction et de la joie, et bégayant, il s’écria :
    – Blandine !… Le temps m’a duré…
    Malgré cette barbe blonde qu’il avait taillée d’aussi près que possible, malgré cette claudication que sa hâte aggravait, oui, elle l’avait reconnu.
    – C’était bien vous, dit-elle, frissonnante et les yeux brillants. Je vous ai vu passer de la fenêtre de ma chambre. J’ai cru vous reconnaître, mais j’ai douté… Vous êtes revenu par deux fois, et j’ai pensé que c’était vous… On vous avait dit mort ! Je rends grâces à Dieu de vous avoir sauvé !
    Elle avait reculé, il en fut consterné. La rue, soudain, devint morne, grise, tandis qu’il s’emplissait l’esprit de ce regard, de cette bouche pure, de ce front frangé d’or.
    – M’amie, je ne pouvais vous faire prévenir que je vivais et pensais à vous.
    – Votre écuyer…
    – Thierry et Raymond sont je ne sais où… J’ai appris qu’ils avaient sauvé mon cheval et repris mon armure… Je suis seul, bien seul… Mon chien est avec eux…
    – J’espérais, je priais. On m’a dit des horreurs sur vous… Je n’y ai pas cru… Étiez-vous à Angle ?
    – Oui… Juste le temps qu’Oyré m’y brise cette jambe.
    – Oh !
    – Je m’en suis enfui. Je marche parce que Sirvin m’a soigné… Tout ça…
    D’un geste, il rejeta le passé. Leur avenir seul importait. Blandine baissait la tête, découvrant ainsi, par une faille de ses cheveux, sa nuque ambrée, gracile. À défaut d’y poser un baiser, Ogier eut envie de l’effleurer des doigts, et renonça. Il ne comprenait pas pourquoi il souffrait tant alors qu’il venait de retrouver la jouvencelle et apprenait de sa petite bouche rose qu’elle lui demeurait attachée. Plutôt que de se sentir solide, confiant, ivre de bonheur, un désespoir invincible le terrassait, et cette angoisse était d’une espèce inconnue.
    Il se reprocha d’être incapable d’exprimer ce qu’il éprouvait. Manquait-il de cœur ? De mots ? Certes non, mais il ne savait comment donner pleine mesure à ses sentiments. De même que Raymond avait pu le trouver peut touché par la mort d’Adelis – alors qu’il en souffrait plus durement, sans doute, que le sergent –, il s’apeurait que Blandine pût douter de la force de son amour.
    « J’ai manqué de douceur au cours de mes enfances », songea-t-il. « J’ai été privé de ma mère quand sa présence, ses sourires, ses conseils m’eussent été des plus précieux… Je n’ai vécu, en fait, qu’avec des mâles. Je ne sais rien, ou presque, de la tendresse… Je ne sais comment dire mes émois, mes joies, mes peines… »
    Il demanda :
    – Ne pourrions-nous faire quelques pas ?
    À ses prunelles d’ambre comme émaillées de larmes, il comprit que la détresse de la jouvencelle égalait la sienne.
    – Je suis comme captive, Ogier… Depuis Chauvigny, je ne puis sortir seule.
    – Mon cœur, j’ai dû faire un large détour pour vous trouver, doutant parfois que Dieu exauce mes souhaits… Je me contenterai de vous voir ainsi.
    Il fut tenté de saisir Blandine à pleins bras pour en obtenir un baiser, un seul, en la poussant, au besoin, dans cette cour où un invisible cheval sabotait ; il y renonça, craignant de la courroucer et d’attrister irrévocablement ces quelques moments de bonheur. Bientôt, il ne resterait rien de cette brève entrevue. Rien, sinon des regrets.
    – Cette barbe vous va bien mal, dit-elle, un sourire, enfin, sur sa mine éplorée.
    – Je sais. Je la conserverai en Poitou… Vous m’avez reconnu malgré elle.
    Il pensa qu’il la garderait longtemps, au contraire, et plus fournie : « Jusqu’à Paris, et au-delà sans doute… Jusqu’à ce que je retrouve Alençon, ce qui sera difficile ! » Il s’avisa que le soleil déclinait :
    – Je ne puis m’attarder. (Il ajouta, consterné :) Vos parents ont dû me faire passer pour un monstre !
    Blandine aurait pu nier ; elle eut, de la main, un petit geste d’indifférence. Dans sa robe vulgaire dont les manches retroussées aux poignets révélaient une chair d’un grain fin et velouté, elle avait un air contrit – et même apeuré. Il ne pouvait la protéger ni même la rassurer sur leur avenir commun.
    – M’attendrez-vous ?
    Elle leva vers lui un regard limpide :
    – Je vous ai donné ma foi, Ogier. J’ai toujours su qu’on me mentait

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