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La fête écarlate

La fête écarlate

Titel: La fête écarlate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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VI : il a comme son père l’obstination des sots. Tant qu’il demeure en Langue d’Oc avec des milliers d’hommes capables de remonter subitement vers le Nord, les Goddons se maintiennent où ils sont… Mais Derby doit s’impatienter… J’ajoute qu’on raconte que les échauffourées ont repris en Bretagne.
    Et comme Ogier frottait ses joues barbues :
    – Rencontrerais-tu la fille de Berland qu’elle ne te reconnaîtrait pas.
    – Blandine me reconnaîtrait, messire. Et sans la moindre hésitation !
    Disant cela, Ogier décida de voir une dernière fois la pucelle avant de revenir la chercher pour toujours. Le vieillard devina ses intentions :
    – Passer par Poitiers, c’est ajouter un anneau à la chaîne des jours perdus…
    Ogier ne se crut pas obligé de répondre. « Perdus ? » s’étonna-t-il. « Perdus, alors que je suis guéri d’une terrible navrure et que j’ai connu ce mire d’une excellence incomparable ! » Il regarda sa jambe et se mit à marcher.
     
    *
    Le mardi 25 juillet de cette année 1346, Chauvigny reçut un de ces coups inattendus et terribles dont le retentissement, sur la sérénité de la cité, fut plus inquiétant que le tonnerre destructeur d’une bombarde : les Goddons avaient débarqué ; ils exillaient et arriflaient (224) la Normandie.
    En s’égarant à la fourche de Châtellerault, un messager qui se rendait à Aiguillon avait atteint Chauvigny au lieu de Poitiers, ce qui d’ailleurs raccourcissait sa chevauchée. Il était guenilleux et navré à l’épaule ; des manants le menèrent chez Benoît Sirvin.
    Sitôt la porte refermée, l’homme grogna de dépit, de souffrance et de lassitude. Ogier le soutint :
    – Allons, laisse-toi aller…
    Après la torpeur et l’éblouissante lumière du dehors, la maison fraîche, sombre, eut presque aussitôt sur le blessé un effet revigorant. Ensuite d’un gros soupir, il annonça :
    – Les Anglais nous ont surquéris (225) . Comme je l’ai dit à ceux qui m’ont conduit céans, la Normandie brûle et saigne. Il faut, messire, que vous me remettiez en état ! J’ai tant de lieues encore à couvrir…
    – Holà ! compère, le mire ce n’est pas moi, c’est lui.
    –  C’est moi, dit Benoît Sirvin en invitant d’un coup d’œil Ogier à se ressaisir. Il te reste au moins quatre-vingts lieues de bons et de mauvais chemins !
    Dans la rue, un char à bœufs passa, broyant des pierres. Ogier imagina le huron aveuglé, tanguant devant les bêtes, la perche à l’aiguillon appuyée sur le joug. Tranquillité. Une moisson entre les ridelles ; gerbes dorées, éclaboussées de coquelicots flétris, mais couleur sang… Le sang ! La guerre ! « Plus tard, dans un autre temps », songeait-on avec l’espérance qu’un vent sain pousserait cette maudisson (226) chez les autres. Et soudain, elle paraissait sous les traits suants et poudreux d’un chevaucheur ensanglanté…
    Ainsi, le complot de Chauvigny prenait forme et couleur : la fête écarlate rassemblait ses multitudes ; fête où les cris de plaisir devenaient hurlements d’enseignes (227) et les rires des plaintes et des gémissements…
    « Et moi, je suis ici, paisible ; moi qui savais ! Moi qui, à défaut de pouvoir l’empêcher, aurais pu peut-être amoindrir la boucherie dont ce sergent fut témoin… Car Thierry n’a pas dû réussir auprès du roi… »
    Suant et malade d’un lourd regret, Ogier approcha de l’homme une escabelle :
    – Assieds-toi… Parle-nous si tu en as la force…
    Le messager se laissa choir sur le siège, ôta sa cervelière et son camail de mailles puis se leva pour se défaire de son tabard et de son haubergeon souillé de sang, de poussière, de morve et d’écume de cheval.
    – On se bat comme on peut… La stupeur était grande… Trépas et cendres… Je croyais pouvoir galoper aisément avec mes deux compagnons lorsque, peu après Mortain, des routiers nous ont assaillis… Ils n’étaient nullement Anglais, ces six-là, mais Bretons. Mes deux compains sont morts.
    Ogier aida l’homme à quitter son harnois. La plaie de son épaule, large, profonde, suintait ; il allait falloir enlever les caillots et peut-être recoudre.
    – Tes mailles sont solides, commenta Benoît Sirvin en examinant la blessure. Heureusement !… Un tel coup aurait tranché un soliveau… Je ne te ferai qu’un seul point de sujet… Tu ne sentiras rien : je t’appliquerai, avant, un

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