La fête écarlate
part et d’autre des pommettes aiguës, colorées ; outre qu’on les voyait à peine, noyées dans les bouffissures des joues, elles étaient comme celles-ci : exsangues. Avec son menton court, son cou fripé, ses oreilles larges – les seules portions de chair sanguine, vivante, de ce visage quelconque –, Philippe VI semblait un bourgeois en proie à quelque petite colère plutôt qu’un souverain solide et habile ; un cocu au lieu d’un séducteur : la Boiteuse, son épouse, ne devait guère craindre d’être trompée. L’on disait qu’il allait l’honorer chaque soir. Peut-être était-ce pour cela qu’il avait si pâle mine : Jeanne l’épuisait en des jeux où il perdait toujours, et quand il ronflait fort, elle régnait sur la France.
Pourtant, lorsqu’il parla, son regard s’éclaira ; une bouffée d’inutile orgueil empourpra son visage. Tapotant sa lourde épée, il annonça sans ambages :
– Je veux rencontrer Édouard dans un combat digne de nous deux seuls.
– Et tu crois, mon frère, qu’il acceptera ta demande ?… S’il dit oui, il ne se battra pas pour autant ! Tu devras affronter Dymoch, si ce rustique n’a pas été occis par un gars plus habile et plus vigoureux que lui (250) !
Se détournant d’Alençon, assis, ahuri, sur sa couche, Ogier considéra cet homme dont la violence même avait quelque chose d’onctueux, d’inachevé. Il se croyait dans la force de l’âge alors que la courbe de son échine révélait à son insu qu’il supportait aussi mal le fardeau des ans que celui de la couronne.
– Non ! Non !… Pas de Dymoch !… Je veux… j’exige un combat de rois !
Il suffisait de voir Philippe VI présentement, jambes écartées, bras croisés, « tel Thierry avant son combat contre Pinabel (251) », songea Ogier pour comprendre qu’il voulait être considéré comme un preux avant même d’être révéré comme un roi. Il avait dû se nourrir, et même s’empiffrer de romans de Chevalerie.
– J’ai pensé tout ce jour d’hui, Charles, à ce que je devais faire. J’ai besoin de ton assentiment… Blainville, Louis de Thouars et Jean d’Harcourt m’attendent au-dehors… Harcourt dont je me merveille encore qu’il ait pu nous rejoindre après le grand hutin de Caen… Mais qui est ce guerrier en haubert d’un autre âge ?
La main royale palpa les mailles de l’encolure d’Ogier.
– Des anneaux de Chambly !… On ne fait plus ceci depuis quelques années.
C’était faux, sans doute. Les armures de fer étaient toujours rares dans l’ost de ce roi de clinquant.
– Je sais, sire… Ayant perdu mon armure de fer, je me battrai pour vous et le royaume avec ce que j’ai trouvé en chemin.
– C’est Fenouillet, Philippe, dit Alençon. Je t’en ai parlé à mon retour de Chauvigny… Tu sais : ce jeune chevalier que j’ai vu jouter lance basse…
Le regard du roi parut se dépoussiérer tandis que sa dextre se crispait sur l’épaule d’Ogier :
– Il faudra que tu m’apprennes ce coup-là dès que nous aurons vaincu les Goddons. Tu dois savoir qu’hors la guerre, j’aime à m’adonner à des ouvrages d’armes et qu’on me dit redoutable à l’épée… C’est d’ailleurs la raison qui m’amenait céans…
Alençon grogna : ce qu’il avait entendu lui suffisait, mais son aîné, s’arquant en arrière, les paumes sur ses reins, sourit de toutes ses dents nombreuses encore :
– Je vais envoyer un message à Édouard pour lui demander ce combat d’homme à homme, à outrance bien sûr, afin que nous en finissions avec nos querelles familiales. Le royaume y trouvera son compte car cette guerre ne fera qu’un mort : lui !… Non, non, mon frère : il n’osera employer Dymoch contre moi… Je suis sûr qu’il voudra m’escarbouiller autant que je suis sûr de le dominer !
Le roi s’était exprimé avec son air de Cour, un air d’excellent aloi ; mais le frère puîné grogna sur sa couche et, tapotant le drap froissé entre ses cuisses :
– Philippe, garde-toi de céder à tes rêves. Tu ne gagneras pas cette guerre tout seul !… Nous sommes cent mille et nous attendons Louis et Amé de Savoie et, bien sûr, leurs batailles… Les Anglais sont un peu plus de trente mille. Nous les vaincrons quand nous voudrons pourvu que nous les trouvions par-devers nous… Tu as fait détruire le pont Mathilde sur lequel nous aurions pu passer pour courir au-devant d’eux ; tu
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