La fête écarlate
seul , il avait pu s’évader après qu’Oyré l’eut malmené, sans préciser de quelle manière. L’esprit visiblement tourmenté par le conflit en cours, Alençon ne s’était ébahi de rien ; il reposait entre son armure et sa bannière comme un certain soir des Pâques chauvinoises ; une chandelle brûlait à son chevet, et l’Henri veillait sur le seuil de sa tente, moins imposante que celle où il avait accoutumé de vivre quand il quittait sa demeure.
– Quelle idée d’avoir laissé pousser cette barbe ! Aviez-vous peur qu’on vous reconnaisse ?
– En Poitou, monseigneur. Ici, elle n’a plus sa raison d’être, mais j’ai tant chevauché que le loisir m’a manqué pour…
– Mon barbier vous rasera !… Vous redoutiez de tomber au pouvoir d’Oyré… et de Blainville, au cas où vous les auriez rencontrés avant moi !
– C’est cela, monseigneur… Mais qu’est donc devenu votre écuyer ?
– Étienne est allé abreuver mon cheval.
– Messire Blainville ?
– Il est auprès de mon frère…
– En voilà un, monseigneur, (243) ! J’aimerais que ce soit devant vous.
Alençon ramena sous son menton les couvertures :
– Ce sera, Fenouillet… Il ne t’aime pas… Je ne t’apprends rien.
Le tutoiement fit sourire Ogier en même temps qu’il lui donnait confiance :
– Je le déteste, monseigneur.
– Depuis ce tournoi dont j’ai mauvaise souvenance, nous nous voyons fort peu, Richard et moi. Quand cela nous advient, nous nous parlons à peine… Mon frère a toujours des œillères bien larges… Comment les lui ôter ?… Qu’as-tu appris en chemin ?
– Monseigneur, j’arrive de Paris où je n’ai fait que passer. Tout ce que je sais, c’est que les barons et piétons de Normandie, du Maine et du Perche se sont bien battus et que les Goddons ont annihilé (244) Valognes, Carentan et Saint-Lô.
– C’est tout ce que tu sais ?
Ogier hochant la tête, Alençon fronça les sourcils :
– Édouard, son fils et ce linfar de Godefroy d’Harcourt ont franchi l’Orne et l’Odon, bouté le feu aux nefs du port et ainsi embrasé Caen. Mon frère avait confié cette cité au comte d’Eu et au sire de Tancarville, que tu connais. Il les avait fait assister de Jean de Saint-Quentin, Jean de Fricamps, Philippe de Pons, Jean de Cayeux ainsi que de Jean IV d’Harcourt et son fils, le comte d’Aumale… Hé oui, le frère et le neveu de ce fredain (245) étaient parmi les défenseurs de Caen… Et les hommes d’armes et les manants se sont fort bien battus, mais…
– Mais , monseigneur ?
– Ce que nos coureurs sont venus nous annoncer, ensuite, nous a mis, mon frère et moi, dans un grand courroux : Eu et Tancarville se sont rendus aux Goddons sans combattre (246) !… Cela t’étonne-il ?
– Un peu tout de même, monseigneur. Je me souviens que l’un d’eux, lors du Vœu du Faisan, chez dame Alix d’Harcourt, voulait planter son pennon sur la plus haute tour de Londres.
– Je me le rappelle !… Pendant qu’on se battait à Caen, l’ost de France a chevauché et marché sur Vernon. Là, nous avons appris qu’Édouard III, qui venait de quitter Caen, avait envoyé un message à l’évêque de Bayeux, le frère de Robert Bertrand, pour qu’il veuille bien l’accueillir en sa bonne ville… Ce prélat, plus dur qu’un Fort d’Aux, a fait déchirer le message et enfermer l’ambassadeur (247) …
Alençon toussota. Ogier lui trouva les joues flétries, l’œil moins clair, la bouche cernée de deux traits d’amertume. Il regarda l’armure, près de lui. C’était celle de Chauvigny, que le comte eût échangée, s’il n’était intervenu, contre l’habit de fer d’Étienne de Vertaing, sans doute accointé à Blainville.
– Je suis heureux de te revoir, Fenouillet. Je te prends à mon service. Cela te plaît-il ?
De même qu’au tournoi de Chauvigny, Alençon avait besoin d’un protecteur. « Moi aussi, d’ailleurs », reconnut Ogier, tout en demandant :
– Qu’en dira Vertaing, monseigneur ?
– Il devra s’accommoder de ta présence.
Le revenant pensa qu’il n’aurait pas la tâche aisée ; toutefois, sans trop se soucier de ses futurs rapports avec l’écuyer, il s’enquit :
– Les Anglais sont-ils loin de Rouen ?
– Tout proches, en retrait, sans doute, d’un forbourg qu’on nomme la Quesnoye (248) . Il y eut même entre eux et les nôtres… Nous les avons perdus de
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