La fête écarlate
continuait le Moyne de Bâle… Et ce goguelu qui va de l’avant, quelle armure !… Ni bleue ni noire… Par ma foi, Ogier, c’est au fils du roi, Édouard de Woodstock, prince de Galles, que nous allons avoir affaire…
Ogier se souvint d’une autre armure sombre : celle de Kergœt dont Thierry avait hérité. Où était-il, lui, désormais ?
– N’attends plus pour détordre et lever ta bannière, Gauric, dit le Moyne de Bâle. Il a vu que nous ne voulions pas engager le combat… Allez-y, l’ami !
Se conformant aux usages, Ogier rejeta son écu sur son dos, prit sa lance par sa douille de fer, et la traînant au sol de la main gauche, le bras droit levé :
– Noncierre (261) du roi de France ! cria-t-il.
Derrière le fils d’Édouard, les autres s’approchaient, leur lance toujours couchée sur l’encolure de leur destrier.
– Holà, compères ! dit Gauric. Ils me paraissent bien félonneux…
Le chevalier à l’armure sombre s’immobilisa à quatre ou cinq toises de l’ambassaderie française :
– Qui êtes-vous ?
Ah ! comme c’était dur, soudain, de devoir cacher son vrai nom :
– Ogier de Fenouillet, monseigneur, et le Moyne de Bâle, chevaliers… Je suis porteur d’une lettre destinée au roi Édouard III, votre sire, de la part de Philippe le Sixième, roi de France.
– Qui se dit roi de France, rectifia aussitôt l’adolescent.
Dans l’orbe du bassinet, sous la visière à peine trouée, il avait un visage rougeaud ; des sourcils roux, des yeux bleu-noir, assez petits, brillants d’orgueil, de moquerie et de cruauté. Ce jeune homme semblait avoir déjà fait le tour des choses les plus mauvaises avec une aisance et une délectation féroces.
– Il est mon roi, messire, et je le sers au mieux.
Le messire était insultant. Le prince ne parut pas y prendre garde, mais comme ses compagnons grognaient, il les apaisa d’un geste.
– Ainsi, vous voulez voir le roi mon père…
Il désigna de sa main la custode qu’Ogier portait à son cou :
– Qu’y a-t-il là-dedans ? Que demande Philippe ?
– Monseigneur, j’obéis à mon roi pour la première fois, puisque pour la première fois je l’ai vu cette nuit… Cependant, quelque courroux que je vous donne en vous faisant cette réponse, je n’ai pas coutume de déployer les parchemins qu’on me confie pour en connaître la teneur…
Ce damoiseau l’importunait. Seize ans et déjà un cimetière sur la conscience. Il vit ses lèvres se pincer, s’attendit à une insulte à l’adresse du roi de France, et s’aperçut que les Anglais les avaient entourés, lui et ses hommes. Au loin, des chiens aboyaient.
– Le champ est grand… Avancez !… Vous pouvez relever votre glaive…
Lance haute, maintenue sur l’étrier, et chevauchant à la droite du prince, comme un écuyer – ce qui l’irrita –, Ogier regarda droit devant une forêt et, guère loin d’elle, un hameau détruit sans doute depuis la veille, fumant encore. Il se tourna vers ses compagnons et vit Gauric entouré des pennonciers d’Angleterre.
– Monseigneur, dit-il à Édouard de Woodstock, nos lis vont étouffer sous vos léopards et les fleurs qui nous furent robées. Laissez, de grâce, mon porte-bannière chevaucher seul derrière nous… Jusqu’à preuve du contraire, et quelque désir que vous en ayez, sans doute, nous ne sommes pas vos prisonniers !
Une expression amère, vindicative, figea le peu de visage du prince apparent sous sa visière. Puis il rit, frappant allègrement l’encolure de son cheval d’une main chargée de gros anneaux ornés de pierreries. Deux clochettes tintèrent à l’ergot de son éperon d’or : ce présomptueux de prime barbe avait déjà l’ostentation des vieux despotes.
– Que votre pennoncier chevauche près de vous. Le champ est large, vous ai-je dit !
– Vos fourrageurs et boutefeux, monseigneur, ont une bien étrange façon de moissonner les blés mûrs !
– N’est-ce pas ?
Déjà Gauric était là, sourire aux lèvres, soulagé. Le Moyne de Bâle s’était également rapproché, car Ogier l’entendit toussoter dans son dos.
– Nous y voilà, messires !
Un cor et d’invisibles trompettes sonnèrent tandis que les chevaliers anglais et les ambassadeurs contournaient une corne de la forêt. Derrière, dans un creux profond, des aucubes et des trefs – vingt ou trente – s’élevaient. Ogier vit un enclos destiné aux chevaux, un autre où
Weitere Kostenlose Bücher