La fête écarlate
le cas, nous pourrions leur couper la retraite !
Auprès d’Ogier, le Moyne de Bâle émit son habituel grognement ; puis :
– Le roi commande et nous obéissons… Pour si sage qu’elle soit, votre idée le ferait s’ébaudir… Cette lance que vous poignez ne vous encombre pas ?
– Non… Et c’est la lance royale !
– Nous approchons, dit un homme.
Un grand bourrelet noir criblé de lumière et de chants d’oiseaux semblait venir à leur rencontre.
– Pourvu que le heurt soit doux ! dit le pennoncier, la joue contre la soie de sa bannière bleue semée de fleurs de lis.
– Tout ira bien, tu verras !
Ogier sourit à ce garçon âgé de quinze ou seize ans. Louis de Thouars lui avait proposé d’emmener Étienne de Vertaing, son ami ; il l’avait récusé : l’écuyer d’Alençon ne lui inspirait que mépris et défiance. Alors, son regard s’était posé sur Gauric, occupé à fourbir une épaulière d’armure : « C’est lui qu’il me faudrait. » Il l’avait obtenu. Les autres ? Certains guerroyaient depuis plus de dix ans, et l’un d’eux avait même combattu à l’Écluse. Tous voulaient en finir avec les Anglais ; la mollesse du roi leur paraissait étrange.
Le bac toucha le bord herbu et feuillu de la rive. Des merles et des moineaux s’envolèrent ; une pie faillit se poser sur la tête d’un cheval et s’enfuit, non sans avoir effrayé l’animal qui sabota, donnant au grand plateau de troncs jonchés de paille un balancement inquiétant.
– Trop haut, dit Ogier soudain pressé de toucher terre. Les chevaux, en voulant monter ce talus, se casseraient les jambes… Allons ailleurs.
« Et ma jambe ? » se demanda-t-il tandis que le radeau glissait puis, après un soubresaut, s’immobilisait, affleurant cette fois la berge. Les grappins volèrent et s’agriffèrent dans la terre.
« Et ma jambe ?… Le mal s’en est allé, mais je ne puis la mouvoir aussi vivement qu’avant… Dans une échauffourée, je pourrais avoir le dessous ! »
Il était bien temps d’y penser ! Déjà Gauric atteignait la rive, menait son cheval en bride quelques toises plus loin, plantait au sol l’arestuel (260) de sa bannière et attendait. Il fallait le rejoindre en hâte : le Moyne de Bâle passa ; Ogier, sa lance sur l’épaule, en fit autant et les autres suivirent sans avoir eu à quitter leur selle.
– On reste là ? demanda un des rameurs.
– Non. Allez de l’autre côté. Vous reviendrez quand vous nous verrez reparaître.
Le bac s’éloigna dans un léger clapotement.
Leur faisant face, Ogier considéra ses compagnons. Tous avaient des faces dures entre les jouées de la barbute. Ils portaient la cuirasse et le jupon de mailles, les genouillères et jambières de fer, et si l’épée pendait à leur ceinture, cinq d’entre eux poignaient une guisarme et les autres une arbalète à main. Gauric seul était tête nue – une tête ronde, livide, aux cheveux ras.
– On raconte, dit-il, qu’Édouard a lancé ses meutes après des hurons. Les veautres les ont dévorés vivants.
– N’y pensons pas… Allons, les garçons, avançons avec l’espérance que ces démons ne nous prendront pas pour quelque avant-garde… N’est-ce pas, compagnon ?
Le Moyne de Bâle approuva de la main puis, comme ils émergeaient dans un champ de blé réduit en cendres :
– Nous n’aurons pas à les chercher longtemps.
Devant eux, formant une double haie presque rectiligne, trente cavaliers venaient d’apparaître. Ils avançaient sur des chevaux ambleurs et tous, sauf un, tenaient une lance qui, de l’épaule, s’inclina presque au même instant, menaçante.
– Ce n’est pas du menu fretin, commenta le Moyne de Bâle, disert pour un coup.
« Des armures… Tous ont une armure ! » Et de hautes plumes à leur bassinet, de sorte qu’Ogier crut avoir devant lui des tournoyeurs sur le point d’entrer en lice. Le chevalier du milieu attira son attention. Il ne brillait pas au soleil levant comme ses compagnons ; sous sa cotte d’armes de gueules et d’azur où se côtoyaient les lis robés à la France et les léopards d’Angleterre, sa défense de fer semblait grise – un gris foncé de ciel d’orage. Monté sur un destrier houssé de noir, comme s’il portait le deuil des hurons et manants écrasés sous ses sabots, ce chevalier au port noble imposait le respect. Et la haine.
– Ils ont quatre pennons aux lis et léopards,
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