La fête écarlate
Alençon.
« Il lui parle comme à un grand frère malade ! »
– Tu as besoin de repos !… Ne t’en prive point.
Doucereux mais péremptoire, le comte incitait le souverain à aller se coucher afin de conserver ses forces. Tant de ténacité dans l’absurdité, tant de certitude dans la présomption, tant d’enfantillage dans la maturité – voire même la vieillesse – attristèrent Ogier jusqu’au désespoir, tandis que riant et hoquetant, le monarque confiait à son puîné :
– Dis, Charles… Si elle voit toutes ces lueurs rouges, la Jeanne doit serrer les nasches (287) .
Ayant ainsi évoqué son épouse, le roi marcha vers son pavillon, le seul qui fût planté dans le grand pré où il avait décidé qu’on fît halte.
*
À l’aube du lendemain, avant de chevaucher, Philippe VI considéra ses princes, sa grand-baronnie et ses féaux de moindre importance, tous prêts à reprendre le cheminement vers Paris :
– Comment va, le Moyne de Bâle ?
– Bien, sire.
– Tu es heureux ? Tu vas revoir Jean de Bohême !… Et toi, Fenouillet ?… À quoi penses-tu au seuil de ce vendredi ?
– Je pensais, sire, que les Goddons, sur l’autre rive, sont en marche…
– Ils n’iront pas se faire donner la messe à Notre-Dame !
Ogier préférant s’abstenir d’exprimer ses craintes, le roi s’emporta :
– Tudieu !… N’as-tu pas vu les parois de Paris ? Jamais ils n’entreront… Ma belle et bonne ville est en sécurité, non seulement grâce à mes soudoyers mais encore grâce aux compagnies de Jean l’Aveugle et aux Génois… J’en ai laissé là-bas cinq ou six cents !
– Concernant les Génois, sire, puis-je parler de ceux de votre ost ?
– Pourquoi non ? J’aime ta droiture !
– Leur pavois est lourd, leur arbalète aussi. Ne pourraient-ils les mettre dans ces chariots qui nous ont rejoints hier soir ?
Philippe sourcilla. Ce fut tout. Ni compréhension ni courroux. Une lippe apparut sur ses lèvres gercées – à moins que ce ne fut un sourire : à son réveil, il entendait une bourde excellente. Il caressa son grand nez blême :
– Un jour que je m’inquiétais comme toi, Fenouillet, auprès du Galois de la Balme, grand maître – si tu ne le sais – des arbalétriers, il m’a dit de ne pas me soucier de ces hommes : ils sont aussi forts que Milon de Crotone… si tu en as ouï parler… Tu t’inquiètes de leurs grands pavois ? Sache qu’ils les porteront jusqu’à Paris, ne serait-ce que pour empoigner les petits écus que je leur dois !
Insensible à ce jeu de mots trop aisé, Ogier pensa aux mercenaires de Barfleur. Privés de leur solde, et apercevant les innombrables nefs anglaises, ils avaient fui sans tirer un carreau. Pour aller où ? Certains peut-être chez les Anglais. Ceux qu’il voyait depuis la retraite de Rouen étaient fourbus comme la plupart des piétons, et la fatigue pouvait, de lieue en lieue, devenir mauvaise conseillère.
– Laisse les Génois à leur petite géhenne, dit le roi en reprenant ses distances. La pitié – l’ignores-tu ? – est un pernicieux défaut : elle humilie ceux qui l’accordent et ennoblit ceux qui l’inspirent !… Laisse la compassion aux clercs que tu vois cheminer çà et là parmi nous, sans quoi, conviens-en, à quoi pourraient-ils s’occuper ?
Cet homme à l’orgueil immense autant que niais était-il sain d’esprit ? Ogier ne sut qu’en penser. Il eût dû se montrer sensible à l’honneur qui lui était fait d’un aussi long entretien, or, il s’en trouvait ulcéré. Cette jactance « souveraine », irrémédiable, le plongeait dans un état de déconvenue d’autant plus désagréable qu’il se trouvait contraint de l’étouffer.
– Mon frère t’aime bien, Fenouillet ; c’est pourquoi je te pardonne tes idées piquantes ! Dès que nous y serons, amuse-toi à Paris, mais n’omets pas de me visiter.
– Je viendrai au palais, sire.
Et voilà que tandis que Philippe VI s’éloignait, il comprenait l’aversion de Godefroy d’Harcourt pour cet homme ; voilà qu’il éprouvait un véhément besoin de le voir accablé, humilié, puni !
« Et maintenant, que confie-t-il à son puîné ? »
Il se mit à observer le roi avec une curiosité avide, enivrante. Il aggrava même son aversion de la beauté de l’armure royale, forgée sans doute à Marseille dans une des officines de la rue des Fabres, et de cet écu d’azur
Weitere Kostenlose Bücher