La fête écarlate

aux fleurs de lis que Philippe VI portait sur son dos ; et bien que le second Valois méprisât aussi le commun, il se mit à l’admirer pour sa débonnaireté, sa netteté, sa clairvoyance. En aucun cas Alençon ne se serait abaissé à adresser un message à Édouard. Il pressentait sans doute que jamais son grand échalas de frère n’affronterait l’Anglais.
    « Ogier, cette nef où tu t’es embarqué, c’est le Christophe d’avant l’Écluse. Blainville en tient encore le gouvernail. Tu vogues à nouveau vers des déconvenues ! »
    Il ne pouvait admettre qu’un roi fut aussi sot. Il ne concevait pas cette sérénité sans assise, cette inaltérable confiance en l’avenir, cette persistance à se juger en état de supériorité alors qu’un duché brûlait et saignait de l’autre côté de la Seine… À moins que Philippe VI ne souhaitât l’extermination des Normands !… Non, cela ne se pouvait !… Il se prétendait « grand », chevalier et prud’homme. Alors ?… Il s’éblouissait, en chemin, du déploiement de ses hommes de fer ; il les voyait sans doute écraser l’ennemi. Édouard l’efficace, à ses yeux, n’était qu’un damoiseau dont il eût pu être le père. Et les pères n’ont-ils pas toujours l’avantage sur les enfants ?
    « Un bourdeur, rien de plus ! » Qu’avait-il à jubiler, ce preux aussi mou que son nez, aussi terne que son regard ? Il se trouvait journellement bafoué depuis un mois. Un mois de revers continuels, acceptés sans oser la moindre représaille, alors qu’au lieu de tournioler dans les campagnes, il suffisait de passer la Seine en plusieurs endroits et de courir au-devant des envahisseurs.
    « Les Normands doivent le haïr, maintenant, eux qui déjà le détestaient… Ah ! là là, j’aimerais te voir, andouille, devant Édouard !… Et même devant son fils !… Osseux, certes, mais mou comme un sac de son, tu faiblirais dès le second coup de taille ! »
    Que valait cet homme-là auprès d’un Godefroy d’Argouges ? Rien.
    Il fallut se remettre en marche, les invisibles cohortes anglaises à l’ouest de la Seine et l’immense armée de France à l’opposé.
     
    *
     
    Le samedi 12, au coucher du soleil, un garçon qui venait de traverser le fleuve tomba au pouvoir d’un groupe de vougiers occupés à tremper dans l’eau leurs pieds enflés. Les uns voulurent le conduire au comte d’Alençon, les autres à Richard de Blainville.
    – Amenez-moi devers le roi ! cria-t-il en cherchant à se dégager de quelques poignes solides.
    – Faites ce qu’il demande, les hommes, dit Ogier au passage.
    Il venait d’abreuver son cheval un peu plus en amont ; il confia le Blanchet à l’Henri et courut informer Alençon. Ensemble, ils se dirigèrent vers la tente royale tandis qu’une trompette sonnait le ralliement des maréchaux et capitaines.
    Ils trouvèrent le roi devant son pavillon, assis sur une chaise à tenailles, l’épée dressée entre ses cuisses. Il portait son ample huque rouge dont il avait remonté le col fourré d’hermine, par crainte de la fraîcheur, et regardait, béat et tête nue, approcher les membres de son conseil ainsi que quelques porteurs de flambeaux. Après les avoir invités à se rassembler en demi-cercle devant lui, il croisa les bras, courba le front et s’absorba dans ses pensées. Ogier se dit qu’il avait l’art d’atermoyer lorsqu’il devait débattre de choses simples. Se détournant à gauche, il put voir assez loin, sur l’autre rive de la Seine, les lueurs pourpres des cités dévorées.
    – Voilà, compagnons, ce que je viens d’apprendre, dit Philippe VI, le menton tout à coup dressé. Édouard, son fils et le Boiteux vont atteindre Poissy.
    – Poissy ! s’exclama Saint-Venant. Nous en sommes, nous, à cinq ou six lieues !
    – Ils courent à Paris, dit Montmorency. Jamais ils…
    Le roi lui enjoignit, d’un geste, de se taire :
    – Et même s’ils y étaient maintenant ? La vue de nos défenses les contraindrait à la retraite… Mais j’en viens au fait. Le pont de Poissy, détruit par nos soins quand nous partîmes pour Rouen, ne peut être franchi ni par les Goddons ni par nous-mêmes ! N’avais-je pas raison de le faire mettre en pièces ?
    – Ils nous précèdent vélocement, remarqua le comte de Blois. Comment font-ils ?
    Le coureur que Philippe VI avait gardé près de lui, un jeune aux vêtements ruisselants, prit la parole :
    – Ils