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La fête écarlate

La fête écarlate

Titel: La fête écarlate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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temps ! gronda Jean de Hainaut.
    Des larmes embuaient ses yeux mornes. Son haubert et son tabard guenilleux grisaillaient de boue, de sanies ; il avait des jambières de sang. Lui aussi semblait las d’appartenir aux Lis. Il jeta sur Ogier, puis sur Thierry un regard d’amitié :
    – Vous vous êtes bien battus, les jeunets. Toi, l’écuyer, tu as sauvé le roi à deux reprises. Tu as fait mieux que Mahieu de Quiedeville (410) car tu étais seul alors que lui, cinquante gars au moins lui prêtaient main-forte !
    – Je m’en souviens, dit Philippe VI. À un moment, tu les as costiés. Mais… mais où est l’oriflamme ?
    « Je connais ce Mahieu : il était à l’Écluse », se dit Ogier avant que de répondre :
    – La dernière fois où j’ai vu l’oriflamme, sire, Miles de Noyers la poignait.
    – Partons, sire, dit Blainville agacé, le doigt tendu vers l’est. On la retrouvera !
    Montmorency et Ogier échangèrent un clin d’œil. Où ce démon allait-il les mener ?
    – Nous vous suivons, Richard, dit Philippe VI.
    Il fallait donc se fier à Blainville ; gagner, à sa suite, par des chemins obscurs et défoncés, un asile où finir cette journée terrible. Dans les prés, les piétons de France hurlaient à la défaite et à la trahison tout en refluant vers Saint-Riquier et Abbeville. D’autres, égarés, mais voyant luire une voie pavée de place en place, s’engageaient sur la chaussée de Brunehaut, titubants, saouls d’horreur et de fatigue. Bien avant le début de la bataille – depuis la retraite de Rouen et le coupable abandon du pont de Poissy –, ils n’avaient pas douté, eux, de l’inconstance du roi de France et de sa faillibilité. Désormais, elles leur paraissaient éclatantes. Et sans doute leur déception et leur mépris s’assortissaient-ils d’une haine immense, inguérissable, envers ces vaincus que leur hautaineté et leur rage homicide avaient poussés à occire, pour hâter leur « victoire », des centaines de bons et hardis compagnons. Certains, d’ailleurs, levèrent le poing au passage de ces neuf armures galopantes ; et comme ils reconnaissaient le roi, leurs imprécations n’en prirent que plus d’audace :
    – Fuyards !
    – Fossoyeurs !
    – Voilà où nous a menés votre hautaineté !
    – Que vos lis pourrissent dans la merde !
    – Hou ! Hou !… Admirez les couards qui passent…
    – Ils sont moins fiers qu’à haute tierce (411)  !
    Blainville galopait devant ; sous les ramures aux odeurs fades, sa dossière de fer s’assombrissait, s’argentait, noircissait encore. « S’ils avaient bien voulu contourner la colline… » songea une nouvelle fois Ogier. C’eût été la victoire… Jamais il ne franchirait la mer pour participer aux joutes auxquelles Édouard lui-même l’avait convié. Le roi et son fils s’ébaudiraient rien qu’à le voir paraître…
    Bruns et épais fantômes, les arbres se clairsemèrent. Ce pays du Ponthieu qui, ces derniers jours, avait vu passer tant d’hommes d’armes allant vers Abbeville ou Amiens, semblait figé par quelque sortilège. Les obliques rayons de la lune aggravaient son aspect désolé tout en avivant, sur les cuirasses et les bras de fer, les traînées et taches visqueuses. La voix du roi domina les crépitements du galop :
    – J’avais rêvé de dormir dans les plis du gonfanon aux léopards ! Mais… mais qu’est-il advenu de l’oriflamme ?
    – Noyers l’aura sauvée, sire, répondit sèchement Jean de Hainaut.
    – Ah ! vous croyez ?… Bien, bien… Il n’empêche que Monseigneur saint Denis nous a trahis !
    De cette hardiesse-là, il avait à revendre. Une seule pensée l’animait présentement : se mettre à l’abri et oublier. Chevauchant près de lui, Ogier le vit jeter son bassinet comme une chose importune ou maléficieuse. Il avait perdu son collier d’orfroi. Sa face hagarde, ravagée, frénétique, se levait parfois vers le ciel pour le prendre à témoin de sa male chance, et la luisance de sa joue n’était pas due qu’à la pluie et au sang d’une profonde blessure : il pleurait. Il regardait parfois les bosquets d’arbres et les recoins ténébreux comme s’il craignait que quelques coustiliers anglais pussent en sortir. Il répétait : « Ah ! là là… » et sa voix grelottante n’était certes pas due au galop qui l’emportait.
    Qu’allaient-ils trouver au cœur de cette nuit froide où, çà et là,

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