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La fête écarlate

La fête écarlate

Titel: La fête écarlate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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chagrin tout autant que sa rage de se manifester dans leur plénitude.
    – Ah ! messires, messires… Méritions-nous cet échec ?
    Il n’osait employer les mots défaite, déconfiture ou déroute et songeait que son adversaire et son jeune fils – puisqu’il semblait qu’Édouard de Woodstock avait accompagné Édouard III – se gaussaient de lui en compagnie de leurs capitaines avant que de vider des pichets de vin français à la victoire.
    Ogier observait ce roi qu’on disait trouvé. Maigre mais bouffi d’orgueil. Ferme d’outrecuidance et non de corps, il s’était hardiment battu. Ses songeries allaient être hantées par des scènes épouvantables. Il conserverait longtemps dans sa bouche le goût du sang et dans ses narines la puanteur des corps suppliciés. Pour lui, à l’inverse des amants endoloris par une querelle, rien ne s’arrangerait sur l’oreiller : ses sommeils seraient terribles. La Boiteuse allait s’enfelonner qu’il eût subi l’humiliation suprême : vaincu ! Sans doute une nouvelle vie conjugale allait-elle commencer pour lui. Déjà, les rumeurs sur l’entente du couple royal étaient mauvaises. Elles deviendraient pires.
    « Quand le chêne est tombé, le lierre se dessèche. »
    En se remémorant cet adage, Ogier s’approcha de Thierry :
    – Il me faut cette nuit me venger de Blainville. As-tu vu comme il est inquiet ?
    – Oui. Il a la tête d’un homme qui aurait dormi six mois dans son armure.
    – Où est-il ?
    – Par là, dit Thierry en désignant un endroit d’un mouvement du menton.
    Je le vois.
    Tel un guette-chemin, le « bon Richard » s’était esseulé dans l’ombre d’une encoignure. Quelle turpitude y tramait-il ?
    – Certes, il vous le faut dénoncer, mais ne révélons rien pour le moment à ceux qui nous entourent. Mon père, qui était la prudence même, me recommandait parfois : «  Ne confie pas tes secrets à des vieux. Ils ferment aussi mal que les anciennes portes. » Qu’en dites-vous ?
    Ogier acquiesça. Les portes de la vérité, il se devrait bientôt de les ouvrir toutes grandes !

VII
    Des fagots crépitaient dans la cheminée. Au-dessus rôtissait un agneau embroché qu’une aïeule en pelisse noire et coiffe de nuit tournait en mâchonnant des prières. Ce qu’elle avait entendu concernant la bataille toute proche l’avait épouvantée. Sans doute suppliait-elle le Ciel d’envoyer les Anglais ailleurs que vers la Broye.
    Une servante achevait de mettre le couvert sur un plateau que le roi avait voulu sans tablier : il fallait faire pénitence. C’était une fille épaisse, aux tresses brunes, à l’air dévergondé. Quand elle eut déposé trois gros pichets de vin entre les deux rangs d’écuelles dont une, pour le roi, était d’argent bordé d’or, elle fit une révérence et disparut.
    – L’accueil est frais, commenta Philippe VI, mais il me convient.
    – L’accueil est frais, sire, dit Beaujeu, parce que vous avez demandé au châtelain, sitôt son seuil franchi, de nous laisser seuls entre nous… Il s’en est offensé.
    – C’est vrai, dit Philippe en touchotant son grand nez, mais ce soir de deuil, de grand deuil, je n’aurais pas supporté, mes amis, qu’un tiers, fut-il prince ou roi, s’introduise parmi nous et mêle à nos paroles ses questions et considérations oiseuses… Et vous avez ouï ce que cet homme a dit ? Depuis la tombée du jour, des fuyards de chez nous se sont présentés devant son château. Il a refusé de les conjouir (414) .
    Approuvait-il cette façon de faire ? Ogier se le demanda tandis que la vieille servante débrochait l’agneau et le plaçait dans une lèchefrite.
    Le roi alla flairer l’odeur de cette viande, avant de considérer, dans un coin du tinel (415) éclairé par six torches et quelques chandelles, les armures – la sienne et celles de ses compagnons – déposées sur les dalles. Ces écorces vides lui remirent en mémoire, sans doute, les monceaux d’hommes de fer parmi lesquels gisait son frère.
    – Vous, là !
    – Sire ? s’étonna Thierry, inquiet.
    – Vous serez pour ce soir mon écuyer tranchant.
    Champartel s’inclina. Satisfait d’avoir résolu ce détail cérémoniel, Philippe VI repartit dans sa songerie, regardant parfois sur les murs nus la danse des ombres et des lueurs, évoquant peut-être avec tout ce qui lui restait de clairvoyance, les mouvements éperdus de ses chevaliers, les cris et les jurons

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