La fête écarlate
par lesquels s’exprimait une hardiesse inutile.
– Pauvre Aveugle !… En quel endroit repose-t-il, lui aussi ?
Et devant la fenêtre ouverte sur cette cour où, six ans plus tôt, son marmouset avait dégradé Godefroy d’Argouges, le roi se mit à contempler la nuit tout en curant d’un index impatient ses narines.
– Ah ! là là… Quel règne aurai-je eu !
Ses paupières lourdes clignèrent sur ses prunelles fixes et larmoyantes. Ogier, attentif, se dit que ce grand vaincu ressemblait à ces destriers dont ses hommes liges avaient fait un si détestable usage : le repentir et l’infamie le perçaient de toutes parts.
« Il est comme un tonneau qui s’en va en javelles (416) ».
– Puissions-nous retrouver ces malandrins !… Nous les occirons jusqu’au dernier !
Sa voix qu’il voulait forte, royale, avait des accents plaintifs. Il passa sa dextre sur son front où ses cheveux s’engluaient, sur son cou et sa cuisse : il semblait compter ses blessures ; et quand il vit ses doigts sanglants, il fut comme rassuré : oui, il s’était bien battu. Son visage devint livide et sa bouche entrouverte frémit pour une espèce de sourire :
– Nul oncques (417) ne vit si belle bataille… Il fallait les empêcher de passer la Blanche-Tache.
Et durement :
– Je ferai pendre Godemar du Fay ! Je ferai pendre tous ses capitaines ! Il fallait retenir ces démons sur la Somme !… Ils méritent la hart. Je la leur donnerai.
– Allons, sire ! grommela Jean de Hainaut en s’approchant. Vous êtes las. Vous avez vu combien nous étions et ce qu’ils nous ont fait ?… Godemar ne pouvait rien contre cette engeance-là !… N’est-ce pas, Fenouillet, vous qui étiez là-bas avec votre écuyer ?
– C’est vrai, sire, dit Ogier. Il eût fallu les prendre à revers. D’un côté du Fay, et de l’autre vous et vos hommes…
Il lui en coûtait de secourir le gouverneur du Tournaisis, mais c’était vrai qu’il ne pouvait, quoi qu’il eût fait, contenir une telle force humaine. Il ajouta :
– Les meilleurs hommes de l’ost anglais sont les archers.
On l’approuva, car cela diminuait implicitement la valeur de la chevalerie d’Édouard. Ce n’était pas ce qu’il avait voulu dire !
– S’il avait été là, mon fils Jean nous aurait sauvés… Et les deux Espagne, Louis et Charles… Et Charles de Blois… Qui est mort ?
– Des milliers, sire, dit Aubigny.
Il demeurait dans l’ombre, chuchotant avec Montmorency.
– Je sais qu’il y en a des milliers, mais je parle des Grands !
– Harcourt, le nôtre… le comte de Flandre… le comte de Blois… le duc de Lorraine… Auxerre… Saint-Pol… le fils de Robert Bertrand de Bricquebec…
Le roi secoua la tête comme pour sortir de l’hébétement de ces longs moments de fracas passés à occire de l’Anglais et à s’en défendre.
– On criait à la trahison. Je vais finir par y croire… Mon frère hélas ! y croyait…
Le silence, empli du crépitement des fagots, sembla tout à coup s’épaissir autour de cet homme brisé, à la recherche d’une excuse. Et quoi de meilleur qu’une trahison pour justifier une inique défaite ?
– Vous avez bien raison, sire, dit Montmorency, de parler de trahison !
Ogier, farouchement attentif, vit Blainville marcher vers une des fenêtres et regarder la nuit avec insistance.
« Ce félon nous a-t-il entraînés en ce lieu parce que les Anglais y vont venir ? La nuit dernière, nul d’entre nous ne l’a épié… pas plus d’ailleurs que les autres nuits ! Il a pu se rendre à Crécy et rencontrer Chandos, puisqu’il était dans la presse… Un flambeau remué d’une certaine façon suffisait à le faire reconnaître… Il a déjà procédé ainsi, voilà six ans, sur le Christophe. »
PhilippeVI cessa de marcher à grands pas.
– Trahison ! dit-il. Sans quoi, évidemment, nous les eussions vaincus !
En chausses et pourpoint de velours noir il semblait maigre et presque maladif. Passant devant Ogier, il eut ce haussement du menton qu’il devait avoir quand, de son trône, il tranchait un litige.
– Des preux !… Nous avions des preux, n’est-ce pas ?
Ogier l’approuva. Il ne pourrait jamais oublier tous ces morts inutiles, et particulièrement Bâle, Klingenberg et Jean l’Aveugle. Tous, à dire vrai, étaient morts bêtement.
– Vous parliez de trahison, sire, dit Montmorency. Or, il est vrai qu’il y a eu
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