La fête écarlate
trois léopards… Car les léopards sont anglais !
Le roi se mit à marcher, tête basse, le menton touchant le col de son pourpoint noir à broderies jaunâtres. Sous ses minces sourcils, ses yeux clignotaient, et ses lèvres molles, tremblantes, aggravaient son air égrotant.
– Vous m’ennuyez avec vos dissensions, gronda-t-il d’une voix exaspérée. Mais, par Dieu, il faut que la vérité apparaisse… Que vous ayez fait cela, Richard, me semble une énormité… Montmorency vous déteste, je le sais…
Il s’empêtrait. Avant cette révélation, marchant à grands pas, il avait l’air d’un héron noir ; maintenant, il semblait un ours en cage, l’œil sec et enflammé, la bouche retroussée sur ses dents longues. Il s’arrêta devant Blainville que Jean de Hainaut et Montsault venaient de désarmer. Il avait fait de cet homme son compagnon d’élection ; on le lui décriait sans retenue ; on l’accusait d’une monstruosité… Était-il possible qu’il se fut mépris à ce point sur son compte ?
– Charles occis par votre main, Richard ? bredouilla-t-il.
Cette infamie lui paraissait vraiment trop forte, il décida :
– Demain… Nous verrons cela demain. Nous rassemblerons quelques autres preuves testimoniales… s’il y en a !
Montmorency, Aubigny et Thierry, furieux, virent Blainville recouvrer sa coutumière insolence. Sous ses paupières aux cils ras, il avait à nouveau son regard de reptile. Il souriait. Il se sentait sauvé – ou près de l’être.
– Sire, intervint Ogier, attendre si peu que ce soit, c’est accorder à ce félon, outre le temps de fuir, celui d’exercer contre vous sa malfaisance. Car il vous hait plus encore qu’il haïssait votre frère.
– Par Dieu, blanc-bec, qui te permet d’affirmer cela ?
Ogier fit front, guère étonné que le roi ne fût pas convaincu. Pour le moment encore, les accusations de ceux qui avaient vu ressortissaient, pour Philippe VI, à une rhétorique féroce, froide, imprégnée de jalousie. Ce n’était pas avec des phrases dont la véracité restait incontrôlable que les témoins d’une turpitude éhontée perceraient le crâne royal plus épais que le bassinet dont il avait été couvert.
– Par Dieu ! enragea derechef Blainville.
– Par le diable, voulez-vous dire !… Et moi, sire Philippe, ajouta Ogier tourné vers le roi indécis, oui moi, par saint Denis qui nous a pourtant fait défaut ce jour d’hui, je vous demande en grâce de dire à cet homme d’avancer… et à vous, messires Montmorency et Aubigny, de le saisir par les bras.
Ce fut fait immédiatement. Blainville se débattit, retombant dans sa peur, tandis que le roi, mécontent du procédé, ne cachait pas son impatience et sa curiosité :
– Fenouillet !… Vous me semblez abominer cet homme !
– J’ai mes raisons, sire.
Ogier reçut en pleine face l’haleine d’un fauve aux abois :
– Tu me hais, Lancelot !… Que t’ai-je donc fait ?
Sans daigner répondre, Ogier plongea sa main dans le col du pourpoint entrouvert, trouva la chaînette et d’un geste sec la rompit, tandis que la fureur enfin secouait Blainville. L’épée de Champartel, aussitôt pointée sur sa gorge, le dissuada de se débattre.
– Rendez-moi ce collier et cet affiquet !
Ogier tendit la chaîne et la médaille au roi.
– Sire, dit-il, regardez bien cette pièce d’or…
Il observait Philippe VI ; il entendit le grognement de Blainville, vite suivi d’un rire trop appuyé pour exprimer une gaieté sincère.
– Hé quoi, sire ?… N’ai-je pas le droit de porter à mon cou un attifet qui me rappelle ma Normandie ?… Les léopards figurant dessus sont normands…
Philippe VI avait sourcillé. D’un regard, il consulta Montmorency et Aubigny, puis Hainaut, Montsault et Beaujeu, attentifs. Aucun des cinq ne lui fournissant une réponse, il exprima lui-même sa stupéfaction :
– Seules les fleurs de lis sont normandes, Richard… Nul oncques ne vit pareils léopards au duché de mon fils… Il s’en serait courroucé ! Les léopards sont à Édouard… Ce jour d’hui, nous en avons vu, trois par trois, des centaines sur ses bannières.
Ogier, sans même jeter un regard sur Blainville, dit en désignant la pièce :
– Derrière, il y a les fleurs de lis… De sorte que vous avez réunies là, sire, les armes de l’Angleterre… J’ajoute que cette pièce a été bénie par l’évêque de Lincoln et que
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