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La fête écarlate

La fête écarlate

Titel: La fête écarlate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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Édouarde, sire… Le Saint-André, la Madeleine, le Crucifix, la Goberde et la Jeannette où Quiedeville commandait… Toutes ces nefs, sauf l’ Édouarde, envoyées par le fond… La nuit précédant la bataille, j’ai vu cet homme – oui, vous, Blainville – faire des signaux aux Anglais, à la proue du Christophe. Quand ils nous ont assaillis et que nos chevaliers faiblirent, il s’est sauvé avec un serviteur… Il s’appelait Regnault.
    Blainville chancela comme s’il recevait un coup au creux du ventre. Il devait sonder les ombres de sa mémoire. Regnault. Il ne pouvait avoir oublié ce garçon !
    – Sire, tandis qu’il ramait vers la côte, Regnault s’est regimbé de se voir traité en huron par Blainville. Celui-ci l’a estoqué d’un coup de lame. Des archers d’Édouard les accompagnaient. Ils m’ont vu : je nageais derrière eux… À coups de trident, un sergent a essayé de m’atteindre…
    L’accusé se garda de dire : « C’était toi », mais ses yeux lui sortaient des orbites et des rides profondes soulignaient l’expression ébahie de sa bouche. L’homme dur se savait à la merci d’une force impérieuse contre laquelle il se sentait désarmé : la Vérité. Il trouva, cependant, une dernière feinte :
    – Sur le Christophe, dis-tu ? Tu serais bien incapable hormis Bahuchet et Quieret, de nous dire qui commandait !
    Ogier sourit, puis avec une assurance tranquille :
    – Il y avait Wylard Lardot, maître de la barge ; Jean Langlois, maître des garnisons du roi : il commandait à Jean Champenois et à Laurent de Valricher… Il y avait aussi un autre capitaine : Jean Godefroy… Vous voyez, je n’ai rien oublié !
    Thierry revint, portant l’écu dans sa housse de cuir. Ogier s’en saisit et faisant face au roi :
    – Sire, je n’étais pas parmi vos mariniers. Mon père m’avait emmené avec lui…
    Blainville fronça les sourcils dans un dernier effort de mémoire : il en avait tant fait et tant vu que son esprit n’avait pu retenir le souvenir de toutes ses malfaisances.
    – Mon père, sire, était un de vos loyaux chevaliers.
    Il fit soudain un silence écrasant, et les murs, le plafond, la nuit derrière les vitraux, le feu plus violent parurent ajouter, à l’angoisse de l’accusé, la réalité de leur présence austère et sans issue. Seul comme il ne l’avait jamais été jusque-là, il essayait peut-être de se rattacher au reste du monde en se disant que quelque part les Anglais approchaient. Mais viendraient-ils ? Chandos pensait-il seulement à lui ? Sa fierté, autrefois impitoyable dans l’impunité – cette alliance de fausse noblesse, d’autorité, de cruauté toujours acérées, intraitables et actives – ne se retrouvait plus dans son sourire frémissant et pâle ; et ses yeux, à l’ombre des gros sourcils, avaient un éclat vitreux comme ceux d’un mourant accroché aux ultimes lumières. Et n’assistait-il pas à l’agonie de tout ce qui avait composé cette puissance sombre, obstinée, inflexible – démoniaque – dont tant de malheureux avaient éprouvé la rigueur ? Ces hommes autour de lui, muets et attentifs, ces Grands qu’il avait dû traiter, parfois, plus souverainement que le roi lui-même, ne constituaient-ils pas une cour de justice bien décidée à le condamner en hâte et sans appel ?
    – Mon père, sire, avait un écu semblable à celui-ci.
    Présentant au roi ahuri les lions d’or aux queues coupées, Ogier les plaça brutalement devant la face de Blainville.
    – Argouges !
    S’il n’avait été serré de près par Aubigny et Montmorency, le Normand eût chancelé. Mais déjà, la surprise passée, il se revigorait. Déjà ses jambes amollies recouvraient leur fermeté. Déjà ses yeux brillaient de cet éclat gris bleuâtre si pareil à celui de l’acier. Déjà il reprenait un maintien méprisant.
    – Oui, Ogier d’Argouges, le fils d’un homme auquel vous avez imputé une défaite dont vous étiez l’essentiel responsable… Et pour cause !… Ogier d’Argouges, le fils d’un homme dont vous avez sans trêve envié le courage, le château et les terres… Le fils d’un homme livré depuis six ans aux assauts de votre pendaille… Car je vous dirai tout, sire !
    Ogier s’était tourné vers le roi. Ensuite, il considéra ces grands du royaume que la déchéance du favori devait satisfaire.
    – Voilà six ans que j’attends ce moment. Six ans qu’aucune de mes nuits

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