La fête écarlate
relevé tout abalourdi. On aurait dit que ce démon à tête de loup avait envie de l’occire !
– Il n’y a rien, là, de singulier : l’un est frère du roi et l’autre un traître. Est-ce tout ?
– Le cheval de messire Alençon a brisé la barrière et s’est blessé aux ars (85) , ce qui n’est pas grand mal ; mais il s’est rompu une jambe… Pour qu’il ne puisse souffrir longtemps, le Roi d’armes l’a fait périr sur place. Quatre gentilfames ont tourné de l’œil.
– Cet Olivier me semble digne de son frère. Continue.
– Messire d’Aumale, le fils de Jean IV d’Harcourt, a affronté Cahors et l’a descendu dès la première lance. Le loup a quitté la lice en clochant, sous les gabes (86) des dames. À mon avis, il a voulu se préserver ; il aurait pu renfourcher son cheval et poursuivre.
– Je suis sûr que ce soir, il côtoiera Blainville… Ensuite ?
– Il y a eu d’autres échanges… Puis messire Godemar du Fay a été opposé à Guichard d’Oyré, le capitaine du château d’Angle, et messire Maubue de Mainemares à Jean de Morbecque… Nous en sommes là, et je ne sais qui va paraître en lice.
Un héraut hurla :
– Messire André de Chauvigny contre Blondelet de Ponchardon !
– C’est le Galois ! s’écria Raymond. Et il va jouter en chemise (87) …
– C’est encourir la mort, dit Denis.
– D’autant plus aisément qu’il est tête nue, conclut Marcaillou.
Ogier et ses compagnons s’approchèrent de la lice.
Ils virent par deux fois l’époux de dame Alix branler sur sa selle, provoquant ainsi les rires de Melette de Ponchardon et l’émoi de toutes les dames.
À la troisième course, le baron de Chauvigny planta son rochet dans le flanc du jeune homme. La chemise de lin aussitôt s’empourpra, et Blondelet tomba de son cheval.
Melette poussa un hurlement. Sa robe relevée jusqu’aux cuisses, elle traversa la lice en courant pour s’agenouiller devant le corps de son époux livré aux tressaillements ultimes. Ogier ne vit rien d’autre, sur le pré, que cette femme éplorée devant la dépouille d’un insouciant bien-aimé, tandis qu’André de Chauvigny, sans se désheaumer, saluait les dames et n’en obtenait qu’un dédaigneux silence.
Alors un chevalier galopa sur le champ.
– Jean IV d’Harcourt, dit Raymond.
Le frère de dame Alix, tête nue, parvint à la hauteur du vainqueur et, heurtant son écu contre le sien :
– Par Dieu, ce n’était pas un béhourd mais un crime ! Tu vas devoir m’en rendre raison sans attendre.
Et il partit vers l’extrémité du terrain, d’où il avait surgi, en réclamant :
– Une lance ! Une lance ! Qu’on me baille une lance !
Debout dans la tribune des dames, Alix d’Harcourt se laissa choir sur son banc. Le chevalier d’honneur bondit, se décoiffa et l’éventa de son chaperon.
– Jolie famille, dit Thierry. Il n’y a pas que les hurons qui se détestent !
Quelques instants plus tard, à grand fracas, André de Chauvigny vidait les arçons.
La jubilation des spectateurs fut extrême. Oubliant son chagrin, Melette de Ponchardon y participa en riant et battant des mains. Trois dames demeurèrent immobiles, fermées à cette allégresse où communiaient riches et pauvres : l’épouse du vaincu, la reine et la dame de Morthemer.
Ogier partit s’étendre sous son chêne. Il s’y trouva bien, les muscles lâches et l’épaule légère. Tout proches, ses compagnons faisaient silence tandis que des chevaliers et des sergents commentaient les assauts ; et de ces bruits naissait une paix reposante. Cependant, fermait-il les paupières que des images l’étourdissaient, mêlées à des sensations oppressives : galops, lances couchées, claquements mats des rochets et craquements de bois ; hurlements du public achevés en murmures ; cris des dames louant ou vitupérant…
– C’est à qui, maintenant ? demanda Marcaillou.
Il apportait un seau d’eau pour Marchegai ; un héraut, de loin, lui fournit la réponse :
– Messire Herbert Berland et messire Aimery de Rochechouart !
Ogier fut tenté de se lever. À quoi bon… Il était si quiet, immobile dans son fer, la figure offerte au vent et au soleil…
Il y eut trois galops ; il imagina Blandine, le cœur serré, debout près de sa mère sans doute aussi pâle qu’elle. Il souhaita que le seigneur des Halles de Poitiers eût le dessous, face à un adversaire plus jeune et mieux
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