La fête écarlate
bâti : « Ainsi, je n’aurai pas à l’affronter, car sait-on jamais ? Les juges peuvent nous opposer ! » Cette satisfaction lui fut refusée.
– Or çà, messire !… Il est fort, le petit homme, dit Thierry à son retour de la lice.
Le juge Augustin passa :
– Apprêtez-vous, Fenouillet.
Ogier tendit les mains à Denis et Marcaillou. Une fois debout, ils l’aidèrent à se préparer tandis que Raymond revêtait Marchegai de son houssement, de sa flancherie, puis le sellait et vérifiait ensuite, avec Thierry, le serrement des sangles et l’équilibre des étrivières.
– Dieu vous garde, messire ! dit l’écuyer en ajustant l’écu sur le fond noir duquel les rochets adverses avaient guilloché des fleurs pâles.
*
– Combien sommes-nous, messire Amaury ?
Le juge consulta un parchemin fripé :
– Huit… Jean IV d’Harcourt et son fils, le comte d’Aumale ; Guichard d’Oyré, Jean de Morbecque, Herbert Berland, Gauvain Chenin ; le champion des commençailles : Ferrant de Hautepenne… et vous, Fenouillet. Nous avions pressenti Godemar du Fay et Bertrand Guesclin, eu égard à leur renommée. Ils ont préféré renoncer afin d’être au mieux pour le tournoi de demain… Quant à messire Blainville, il a dit qu’il vous retrouverait.
Un maréchal de lice, le visage cuit au soleil, s’approcha :
– La nuit vient, messire Fenouillet. Aussi avons-nous décidé de faire courir deux lances au lieu de trois…
Ogier approuva. Bien que son bras ne le fît plus souffrir, cette disposition le servait plutôt que de lui nuire.
– Nous avons demandé à la reine de désigner les jouteurs.
– Elle a dû me soigner !
Le juge Amaury, pivotant sur lui-même, considéra les chevaliers dont les roncins trottaient dans sa direction. Il tendit un parchemin à un héraut, lequel haussant la voix, annonça :
– Oyez ! Oyez ! Oyez ! vous tous à l’entour, le choix de notre reine… Jean IV d’Harcourt contre Gauvain Chenin ; Herbert Berland contre Jean de Morbecque ; Guichard d’Oyré contre le comte d’Aumale ; Ogier de Fenouillet contre Ferrant de Hautepenne… Chaque premier nommé dans la lice, à ma dextre… les autres à l’autre bout… Que ceux qui en ont rabattent leur carnet (88) : il y a un prix pour celui qui aura jouté le plus longtemps tête close !
Ogier obéit, non sans jeter un regard vers la tribune des dames. Blandine, debout et mains jointes – priant peut-être –, semblait redouter, elle aussi, qu’il fut opposé à son père.
« Et Blainville ?… On aurait dit qu’Amaury, ce furet maladif, se réjouissait de me rapporter la menace du malandrin ! »
Il se félicita de revenir parmi ses compagnons. Passant tout près, Guichard d’Oyré lui jeta un regard méprisant, puis abaissa son viaire. Jean IV d’Harcourt et Herbert Berland avaient clos, eux aussi, leur défense de tête, et il en fut désolé pour ce qui concernait le seigneur des Halles de Poitiers : il eût aimé lui adresser quelques mots aimables, sans pour autant tomber dans la complaisance.
Un cri de femme abrégea ses pensées :
– Guichard, ta Pernelle est auprès de toi !… Regarde mon emprise à ton bras et triomphe !
« Ah ! folle », songea Ogier, « si tu crois que cela suffira à ton homme… Es-tu seulement belle ? Ton Guichard, en tout cas, est hautain comme un paon ! »
*
Gauvain Chenin montait un cheval lent et lourd. De plus, il s’était mal accoutré : sous l’effet du galop secouant son plastron et sa dossière, son colletin tressautait, soulevant et abaissant son bassinet dans lequel sa vue se trouvait offusquée. Jean IV d’Harcourt, aisément, défonça sa visière et lui brisa la mâchoire. On l’emporta vivant mais en mauvais état.
Herbert Berland ne courut qu’une fois contre Jean de Morbecque : bras démis, poignet retourné peut-être, ce dernier quitta fièrement le champ clos après avoir refusé l’aide de son écuyer et des mires.
– Le père de Blandine est outrément habile ! dit Thierry, d’une voix lugubre. Ne vous laissez pas embrelicoquer par le respect et les sentiments car il pourrait vous en cuire !
Guichard d’Oyré, en deux lances, disposa du comte d’Aumale, mais sa domination fut si mince que les maréchaux de lice et les juges délibérèrent au milieu du pré. Friandes de litiges, les dames furent aussitôt partagées, les unes hurlant : « Oyré ! » , les
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