La fête écarlate
de lion, tu es ferme et hardi. Tu aimes ce qui est grand et noble. Ambitieux, mais avec mesure, car tu as le sens des valeurs. Tes défauts sont fils de tes qualités : audacieux, tu peux devenir imprudent ; généreux, tu peux mésuser de tes forces et de tes biens. Passionné, tu peux te montrer jaloux, possessif… Tu as d’autant plus le sens de la famille que tu penses à fonder la tienne… Honnête, les malveillances t’affligent moins qu’elles ne t’indignent… Vois-tu, j’aurais pu te conseiller de partir prévenir les tiens qu’en Normandie, bientôt…
Ogier s’étonna : ce vieillard était-il prévenu du complot ? Devait-il lui en parler sans ambages ? Était-il possible, d’ailleurs, que le soleil, les étoiles et quelques sciences ténébreuses pussent permettre d’aussi troublantes prophéties ?
– Nul n’est plus sûr et plus apte qu’un lion pour accomplir ce qu’il faut accomplir.
– Accomplir quoi , messire ?
Mais le mire continuait, presque pour lui seul :
– Qu’on approche, il rugit ; qu’on menace, il griffe ; qu’on fasse un mouvement, il mord… Pour ce jour d’hui, tu n’en sauras pas davantage… Comment va ton bras ?
Ogier le fit mouvoir en tous sens.
– Je n’éprouve plus rien.
– Tant mieux… Sache que j’ai admiré la façon dont tu t’es définitivement débarrassé de deux ennemis.
– Ah !
– Je pourrais, pour la résumer, user de ce qu’on appelle un emptimème (81) : « Je hais donc j’occis » et même ajouter cette formule qu’en un temps j’ai employée pour mon compte : « Multi inimici, magnus honor ».
– Ma formule, messire, pourrait être surtout « Multi hostes, magnus honor » (82) .
– Alors, jeune prud’homme, il te faut être fort !
Le vieillard ouvrit sa crédence ; il en tira une aiguière et un gobelet qu’il emplit :
– Bois ça… Cet élixir te donnera force et clairvoyance.
Le breuvage avait goût de grenache et de rose. Presque aussitôt, alors que le mire souriait de son merveillement, Ogier sentit s’amoindrir son état de fatigue et de somnolence.
– Allons voir ce cheval que tu m’as amené… Je le guérirai sans avoir à le recoudre. Laisse-le-moi et pars avec confiance : ton bras tiendra. À la fin de cette journée, de bon ou mauvais gré, on reconnaîtra tes mérites.
Ils sortirent. La rue restait ensoleillée. Marcaillou s’était assis à croupetons sur le sol, dans l’ombre du destrier blessé. Il se leva et caressant le chanfrein de l’animal qui ne se regimba pas :
– Il est quiet. On dirait qu’il a confiance en nous.
Nul doute qu’il aimait les bêtes. Davantage, sans doute, que les hommes.
– Il guérira, dit le mire. Je te le promets. C’est un croisé de genet et de normand (83) . Solide. J’en ai eu un de cette espèce lorsque j’étais…
Silence. Puis, avec l’évident regret de se taire :
– Laissez-le… Je vais m’en occuper sans tarder.
Ensuite, tourné vers Ogier, Benoît Sirvin lui conseilla :
– Défie-toi d’Herbert Berland. C’est un guépin (84) . Tout le contraire de sa fille : une oiselle, à n’en point douter.
– Ah !
– Défie-toi de Guichard d’Oyré. On raconte sur lui de bien mauvaises choses. Moult personnes sont entrées au château d’Angle-sur-l’Anglin sur lequel il règne en despote. Elles n’en sont jamais ressorties autrement que par la rivière. On peut être gentilhomme au grand jour et avoir l’âme composée de ténèbres et de violence.
– Je retiendrai la leçon. Que pouvez-vous me dire sur Blandine ?
– Rien, Ogier. C’est à toi de la découvrir.
Et tout à coup, visiblement à contrecœur :
– Elle est comme un grand pré semé de hautes fleurs, de sorte, tu le sais, qu’on n’en peut voir les chardons.
Cette flèche de Parthe décochée, le mire entra promptement chez lui.
– Le cheval ? interrogea Marcaillou.
– Laisse, dit Ogier. Il est quiet. La ruade, c’est ce vieillard qui l’a fournie.
V
– Que s’est-il passé, Thierry, en notre absence ?
– Moult événements, messire Ogier. Tout d’abord, sitôt après votre départ, deux dames que nous ne connaissons pas sont tombées en pâmoison… L’effet du soleil, ma foi, qu’elles affrontaient tête nue…
– Et à la barrière ?
– Chevauchant le destrier de Blainville dont on avait changé le houssement, Raoul de Cahors a bouté messire Charles de Valois, qu’on a
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