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La fête écarlate

La fête écarlate

Titel: La fête écarlate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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chevaux se touchaient presque, et Marchegai semblait prendre ombrage du cheval houssé de pourpre qui piaffait et goûtait du mors.
    – Laisse-moi l’avantage et je t’en remérirai (93) .
    Ce n’était plus là langage d’homme courtois, mais parler de marchand. Ogier ne se courrouça point. Cependant, l’onction de sa réponse avait de quoi indisposer son compétiteur :
    – Messire, vous savez que c’est chose impossible. On peut tricher aux osselets, aux échecs… que sais-je d’autre ! Mais on ne peut tendre mollement son écu et son corps au rochet de son opposant… Et je ne vois pas pourquoi, ne vous connaissant ni de Chauvigny ni d’ailleurs, ni même par quelque ami que nous aurions en commun, j’agirais ainsi par simple bonté d’âme !
    – Il me faut obtenir ce prix !
    – Messire, j’attache à toutes les récompenses de cette joute moins d’importance qu’à l’amour de celle dont je porte le gage… Et que je baise la joue de la reine en recevant un prix de ses mains, fut-il admirable, m’est indifférent… Mais je ne veux démériter, cependant, ni devant la souveraine de ces joutes, ni devant dame Alix d’Harcourt, ni devant cette pucelle dont j’ai senti, tout ce dimanche, les regards posés sur moi, ni devant moi-même. Ce serait, croyez-moi, d’une faiblesse indigne… Et puis quoi ? Vous pouvez me vaincre loyalement !
    Ogier s’était exprimé sans acerbité ; il se tut, la tête lourde et presque à bout de souffle. Cette journée s’achevait mal, même s’il y avait entassé les prouesses. Ce Guichard lui donnait du mésaise : il allait falloir qu’il le boutât hors de selle. Ainsi, nulle contestation ne suivrait leur affrontement.
    – Alors, soit ! grogna le capitaine d’Angle. Laissons à Dieu le soin de nous départager… Mais si je perds, je prendrai ma revanche où que ce soit, tôt ou tard !
    – Messire, dit Ogier outré par tant de turpitude, vous venez de nommer le seul arbitre dont un chevalier se doit d’accepter toutes les sentences… Je remets quiétement mon sort entre Ses mains !
     
    *
     
    L’attente entre les deux hommes s’épaissit au point qu’Ogier la trouva presque insoutenable. Prêt, il surveillait Guichard d’Oyré qui venait de refuser une lance.
    Les spectateurs faisaient peser sur le champ le poids de leur silence et de leurs conjectures : qui serait le meilleur ? Sans qu’ils eussent pu savoir ce que les adversaires s’étaient dit, nobles, manants et hurons devinaient qu’un conflit s’était ébauché dont l’achèvement anéantirait peut-être à jamais – tout au moins en Poitou – l’une des renommées en présence.
    Roidi dans une immobilité attentive, et sachant Marchegai fin prêt pour ce dernier galop, Ogier sentait son souffle lui manquer, ses muscles se durcir et se plomber. Il fallait qu’il donnât une leçon à ce chevalier : il péchait trop par faillance de cœur.
    De la foule figée, elle aussi, et d’où partaient quelques toussotements, un cri surgit :
    –  Vive le prud’homme au Poing Vermeil !
    Hérodiade encore. Seule.
    « Ah ! enfin, il empoigne sa lance… Son cheval est nerveux… Il se regimbe… Encore un qui goûte un peu trop l’éperon !… Il s’élance ! »
    Au prix d’un effort terrible où s’épuisèrent les reliquats de son souffle et de son énergie, Ogier partit la lance basse – l’extrémité inclinée vers le sol – et redressa son fût brusquement, après Guichard d’Oyré, l’arme haute, dont le rochet se mit à remuer comme feuille au vent par-dessus les oreilles de son cheval.
    Dès lors, tout devenait aisé.
    La foule gronda, trouée soudain par un cri éperdu :
    –  Guichard !
    La belle – si elle l’était – avait compris que son chevalier servant était un sot, un vaniteux, et qu’il allait subir une leçon sévère.
    Ogier frappa si fort qu’il ébrécha le bouclier d’Oyré et rompit, dans son élan, les sangles de la selle, bouteculant son adversaire, tandis que sa lance s’écuissait aux deux tiers comme un baliveau atteint par la foudre.
    Une ovation énorme accompagna le reste de sa course. Partout, on s’était levé ; partout on hurlait ; les trompettes le saluaient, elles aussi, et leurs sonneries, mêlées à la clameur, rendaient celle-ci plus tangible et comme métallique. Ah ! penser que c’était fini et que tout allait bien, sauf cette hanche, cette cuisse où son sang paraissait s’engluer, se

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