La fête écarlate
arriver au meurtre. Et quel meurtre ? Le roi ou son fils Jean. Une voix s’éleva, rugueuse et joyeuse à la fois :
– Par Dieu, messires, même avec un bon guide, ce n’est pas une mince affaire que de venir céans par la berge du Talbat… Vous êtes bien chanceux d’être passés, je présume, par quelque souterrain du château voisin… Venez, Jeanne, venez…
Ogier appuya plus fort son oreille contre la pierre.
« Je ne sais qui est cet homme, mais cette Jeanne, c’est Jeanne de Clisson, celle qui partageait la litière d’Isabelle ; celle qui… »
Blainville eut un rire en cascade :
– Nous allions parler de toi, l’ami Cahors !
Il s’interrompit, et par ce qui suivit, Ogier pensa qu’il avait dû s’incliner devant la Clisson. La suite lui donna raison :
– Jeanne, je vous salue. Je me merveille de vous voir parmi nous. Pardonnez s’il n’y a ni table ni siège digne de vous, seulement ces deux placets (129) … Mais le vin de ce tonnelet est bon. En voulez-vous un gobelet ?… Non !… Je sais, par Isabelle, quel mal vous avez eu pour échapper à ces maudits Bretons !
– Il manque trois compagnons, constata, autoritaire, une voix de femme.
– Oui. (Ce devait être Chandos.) Il manque Kergœt…
– Pour lui, je sais. Il est mort à l’Âne d’Or, non loin de moi sans que je puisse rien pour sa sauvegarde… Non, Isabelle ! Ne versez pas des larmes inutiles : les sanglots n’ont jamais ressuscité les morts !
– Passac a été occis, dit Godefroy d’Harcourt.
– Je sais, et ne m’apitoie nullement sur son sort. Son orgueil m’empoisonnait… Mais où est donc Hue de Calveley ? Le savez-vous, Richard ?
– Il est dans je ne sais quel réduit chauvinois, surveillé par un certain Talebast.
– J’ai appris par ma tante Géralde, qui connaît bien ce capitaine, que Calveley sera emmené bientôt à Angle-sur-l’Anglin.
– Il faut escarmoucher le convoi !
– Ah ! non, Jeanne, s’écria Blainville. Essayer de délivrer Calveley, ce serait montrer aux Poitevins que le parti anglais est présent sur leurs terres… et courageux. Vous le savez tout comme nous : la conquête du Poitou doit procéder d’une action secrète…
– En outre (c’était Harcourt qui prenait la parole), nous sommes peu. Même en les payant à prix d’or, nous ne trouverions pas dix truands pour délivrer cet insensé !
– Calveley est un sot, reprit Blainville. Ramonnet était allé lui proposer un sauf-conduit, comme à Passac. Il a refusé, disant qu’il irait à Chauvigny vêtu comme un huron, vivant d’aumônes et couchant n’importe où. Il oubliait de penser que sa haute taille ne passerait pas inaperçue. Or, il y a trois jours, à Archigny, dans une hôtellerie au nom du Poisson couronné, où il s’était arrêté, une querelle a éclaté. Il y avait là les mêmes bateleurs qu’à l’Âne d’Or ; la femme y faisait la danse des sept voiles… Les hommes se sont jetés sur elle et Calveley a voulu secourir cette pute !… Il avait au cou la médaille que nous portons tous. En voyant dessus, quand il fut maîtrisé, les léopards d’Angleterre, Gauvain Chenin, qui s’était arrêté pour vider un pichet, n’a eu qu’à tirer son épée…
– Quelle sottise de porter ces affïquets !
– Édouard les a fait bénir par l’évêque de Lincoln.
– Je ne puis supporter que Calveley soit emprisonné !
– Je comprends votre courroux, Jeanne. J’ajoute que Guichard d’Oyré, le capitaine d’Angle, est cruel… avec la bénédiction de l’évêque auquel ce châtelet appartient. Il sait que ses captifs ne peuvent s’enfuir, mais par malignité, on dit qu’il leur coupe l’attache de la cheville (130) afin de les voir se traîner à ses pieds. Ils sont nourris de pain de glands et d’eau… jusqu’à la mort.
– Vous me dites ça, Isabelle, aussi paisiblement que si vous me contiez une belle histoire ! Et ces hardis compères, autour de nous, affirment qu’ils ne peuvent rien !
– Rien. (C’était la voix de Godefroy d’Harcourt.) Ce voulenturieux (131) s’est conduit comme un sot ? Qu’il en pâtisse !… Si par malheur il est soumis à la question, j’espère qu’il se taira.
– Il ne subira rien, dit tout à coup Blainville.
– Et pourquoi ? s’étonna Chandos.
– Parce que Guichard d’Oyré est des nôtres.
– Finissons-en avec Calveley ! dit Chandos. À votre arrivée, Cahors, nous
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