La fête écarlate
deux compagnons ses murs livides, son huis et ses contrevents fermés. Ogier tâta les pierres du seuil.
– Cette clé…
– Je l’ai, dit Thierry.
– Alors, ouvre.
Il y eut un cliquetis.
– C’est fait.
Le battant béa et se referma.
– Verrouille.
– Oui… Bon sang, ce qu’il fait noir !
Bras en avant, les pieds glissant sur des dalles, ils avancèrent sans rencontrer un seul obstacle. Ogier atteignit une porte et la poussa ; elle donnait sur une courette encombrée de futailles. Il la traversa en hâte, jusqu’à une autre porte.
– Close… mais la clé, Thierry, est demeurée dans la serrure.
Ogier soupira : jusqu’à présent, leur entreprise ne recélait aucune difficulté. Victorieux d’un sort précaire, il était néanmoins trempé de sueur, le souffle court et le cœur battant. L’écuyer, qui le devançait, murmura :
– C’est la cuisine… et j’aperçois la cheminée…
– Moi aussi. Reste là devant cet huis. Veille bien : nous n’avons aucun autre moyen de retraite… N’oublie pas qu’il ne nous faut aucun témoin et que si nous sommes découverts…
– Je sais qu’au point où vous en êtes, vous occiriez du clerc tout comme du Goddon !
– Hélas ! oui.
S’agenouillant dans l’âtre sans souci d’enfoncer ses mains et ses genoux dans un tas de cendres et de sarments à demi consumés, Ogier appliqua son oreille contre un des montants de pierre et n’entendit rien d’autre que les battements de son cœur.
– Bon sang ! Sommes-nous venus trop tard ?
En raison, cette fois, du silence dur et comme irrémissible autour de lui, il percevait une fois de plus la vanité d’une entreprise dans laquelle il s’était lancé comme en cette cour toute proche : avec audace et aveuglement.
– Alors ? dit Thierry, la voix sifflante d’anxiété.
– Rien.
– Ils ne sont peut-être pas arrivés, voilà tout !
Appuyer l’oreille un peu plus fort ? La placer ailleurs ? Comment savoir ?… Il fallait qu’il entende ! Qu’il sache ! Son bras, sa hanche lui faisaient mal. Et ses genoux.
Il percevait de toute sa chair, péniblement, la différence ou l’opposition entre ses espérances amples et justifiées et la pauvreté, la sécheresse du monde où il eût voulu exercer son action. En fait, dans la demeure vide du moindre clerc, il se sentait cloîtré, éloigné d’une réalité qu’il savait dangereuse et quasiment tangible. Les ténèbres le gagnaient.
– C’est sûrement l’autre portant, messire, dit Thierry.
– Essayons…
Se déplacer de droite à gauche. L’oreille dextre, maintenant… Contre sa joue, le dur baiser de la pierre grumeleuse de suie. Et le cœur qui s’écrase de joie :
– Tu avais raison, Thierry : ils sont bien là, en dessous !
Le conduit d’air dont le défunt Kergœt lui avait révélé l’emplacement devait être spacieux, et la voûte du souterrain assez proche des fondements de la cuisine, car se détournant, Ogier dit à son écuyer :
– Ils ne doivent être que deux… C’est comme s’ils se trouvaient dans la pièce voisine… Nous sommes arrivés à temps !
II
–… Et c’est une étrangeté, Chandos, que de nous revoir dans ce terrier, entre ces quatre torches et devant ce pichet de vin !
– Il est moins bon que celui de Morthemer, bien que je l’eusse encore mieux apprécié s’il m’avait été versé à table par la belle Isabelle, plutôt que dans ce réduit où j’ai passé trois jours avant d’atteindre cette tanière… Ah ! vrai, Morthemer me plaît… J’aime ses murailles (122) . Elles me font songer aux miennes, que je vois, hélas ! de plus en plus rarement… Mais, Godefroy, votre bras vous fait-il mal ? Vous ne cessez de le frotter !
Un rire gras, bruyant – un rire d’homme fort – retentit :
– Vos archers sont bons, Jean. Je suis moins enclin à louer vos arbalétriers, surtout lorsqu’ils chassent. L’un d’eux, dans la forêt de Tykill, m’a décoché entre le coude et l’épaule un carreau d’une grosse espèce, alors que le cerf courait à dix toises de nous…
– Qu’alliez-vous donc faire à Tykill ?
– Saluer une grande dame, la comtesse de Montfort, envers laquelle Édouard manque de bienveillance (123) . S’est-elle refusée à lui et l’a-t-il punie de sa résistance ?… Je vous le répète : Édouard est injuste et d’une mauvaiseté inquiétante !
– J’en conviens. Ce qu’il va
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