La fête écarlate
entreprendre sur le continent doit en être la cause. Voilà cinq ans qu’il rêve de conquérir ce royaume de France dont il connaît les malheurs de tous : nobles, bourgeois et hurons…
– Il est vrai que l’on est plus heureux sous la bannière aux léopards que sous celle des lis, « à quelques exceptions près », prétendrait Jeanne la Flamme. Et c’est pourquoi tant que je vivrai, Chandos, je lui rendrai visite à Tykill ou ailleurs. C’est une preudefame, une Fierge (124) de cette espèce qu’il faudrait à tout chevalier… Grand Dieu ! si avec le défunt Montfort elle faisait l’amour comme la guerre, je ne m’étonne plus qu’il soit mort hâtivement…
– Et l’autre Jeanne, plus félonneuse encore ? Est-il vrai qu’elle est en Poitou ? Isabelle m’a dit qu’un routier l’avait reconnue auprès d’elle alors qu’elle la menait, en litière, à la tour de Cogniac (125) , et qu’elle s’est enfuie.
– Oui… C’était folie de partir d’Angleterre ! Quelque attachée qu’elle soit à Gauthier Bentley, elle l’a quitté en lui jurant de revenir. Elle voudrait l’avoir auprès d’elle quand la Bretagne sera anglaise… On dit qu’Édouard serait alors prêt à le nommer capitaine en cette contrée où Clisson acquit sa renommée. Cela me semble de mauvais goût. En amour, certaines femmes sont enclines aux pertes de mémoire.
– Au fait, Godefroy… Est-il vrai que Passac est mort ?
– Oui… Je l’ai vu tomber.
– Vous êtes sorti !… C’était d’une imprudence !… Je sais que votre frère aîné a couru des lances ainsi que son fils, Aumale !… Ils auraient pu vous reconnaître !
– Allons donc ! Vêtu pire qu’un gueux, barbu comme je suis, qui, malgré ma claudication, pourrait voir en moi autre chose qu’un huron ? J’ai touché l’épaule de Tancarville et me suis heurté à Guînes… Aucun d’eux n’a bronché… Je ne vous cache pas que mon cœur s’est serré quand j’ai vu courir Jean et mon neveu… Je les plains de servir Philippe… Et voyez-vous, entre nous, il y a Alix. Elle n’est ni pour Édouard ni pour Philippe, mais elle m’aide en se montrant hospitalière alors qu’elle s’est brouillée un peu avec Jean et son fils… Cette dissension s’est envenimée, ce jour d’hui, lorsque Chauvigny a occis un petit hobereau : Blondelet de Ponchardon…
– Qu’avez-vous dit à votre sœur pour justifier votre passage ?
– Que je cheminais vers Bordeaux ; elle s’en est contentée… Quant à André, il sait. Nous ne nous voyons pas. Il a fait serment de garder le secret mais il m’a sommé, par l’entreprise d’Alix, de quitter Chauvigny mardi matin… Allons, Chandos, ne faites pas ce visage-là : ces joutes m’attiraient tout autant que Passac…
– Que n’est-il demeuré près de moi, même si Blainville lui avait obtenu un sauf-conduit !
– L’orgueil l’aura perdu. Son vainqueur semblait décidé à l’occire…
Puis, Chandos s’exclama : « Richard ! » Ogier, l’oreille brûlante, pensa : « C’est sûrement lui », tandis que Blainville, après avoir interrompu les propos des deux hommes, déclarait avec hargne :
– Vous parliez de Fenouillet… J’aurais voulu l’employer… Il est fier et refuse, aussi l’ai-je en détestation… Il n’empêche que sa dernière course devant ce lourdaud d’Oyré m’a bien merveillé. Il est parti lance basse, et vous le savez, rares sont les chevaliers capables d’accomplir ce coup-là !… Je n’y parviens pas moi-même !
– J’en ai connu un dans notre terroir, Richard. C’était Godefroy d’Argouges.
– Abstiens-toi de me parler de ce pourceau !
– Tu viens de m’y pousser… Que veux-tu ajouter ?
– Simplement que ce Fenouillet m’a privé de Ramonnet, ce qui prouve qu’il sait tenir toutes les armes… J’ai même cru qu’il avait occis Kergœt.
Blainville se tut, pour s’écrier ensuite :
– Voilà la plus belle !… Quand je vous avais promis, m’amie, que vous seriez reine de ces liesses, et qu’Alençon et moi, allant jusqu’à circonvenir l’évêque, obtiendrions votre couronne !
Il y eut un silence. Nullement surpris de cette « apparition », Ogier essaya de se représenter Isabelle approchant des trois hommes. S’il « voyait » assez bien son corps et son (126) pendant, imaginer l’expression de son visage.
– Je sais, messire, tout ce que je vous dois.
Son
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