La fête écarlate
sa condition. Comment cette femme aux belles mains, aux gestes et mouvements suaves se fut-elle accommodée de tous les désagréments d’un pareil emploi ?
– Bien, approuvait maintenant Chandos. Quant à vous, Harcourt, je blâme votre conduite. Il doit y avoir à Chauvigny des douzaines de chevaliers, écuyers et sergents que vous avez côtoyés de bataille en bataille. La sagesse était de rester quiet jusqu’à cette nuit. Elle est aussi de rester enfermé demain.
– Craignant que mon oncle ne vous reconnaisse, j’avais dit à Leignes de planter un clou dans sa selle. Comme son cheval est jeune et rétif, il est si mal tombé qu’il en semble impotent !
Jeanne, exaspérée, mit fin aux rires d’Isabelle :
– Vous êtes diabolique…
– Autant que vous, mais moins que la reine de France !
Blainville rit. Il semblait triompher :
– C’est elle, Jeanne, c’est la Boiteuse couronnée qui fit occire votre époux… Elle lui avait fait des avances ; il les avait repoussées… Il m’était impossible de le sauver, comme il me fut impossible de sauver la Roche-Tesson, Percy et Bacon… Et pourtant, Harcourt, j’aurais bien voulu, sachant qu’ils étaient tes amis… C’est Charles de Blois qui souhaita que leurs têtes soient exposées sur une roue, au marché de Saint-Lô…
– Pourquoi me dis-tu cela ? Pour me bien disposer à ton égard ?
– Il se peut… Et si je n’ai rien pu pour ces trois-là, j’ai sauvé Raoul de Bigars, Robert de Thibouville, Guillaume de Bricqueville… Jean de Tournebut, Henry de Tilly et Renaud de la Haye… Tu devrais t’en montrer reconnaissant !
Il y eut un silence pendant lequel Ogier imagina Blainville haletant, mécontent, sachant bien que sous l’accointance de ses complices grandissaient à son égard le mépris et la suspicion. Et tout comme lui, Argouges, sans doute se demandaient-ils les raisons de sa trahison. Il n’avait jamais souffert des humeurs de Philippe ; au contraire : à force de ruses, feintes et patience, il avait gagné sa confiance, et même, le temps l’y aidant, son amitié. Il eût dû le servir en toute féauté or, il révérait Édouard III. Qui était-il vraiment ? « Père a connu ses parents. Des hurons devenus riches en deux ou trois ans… Pourquoi ? » Dans le souterrain, Chandos s’irritait :
– Si nous continuons ainsi, l’aube poindra et nous n’aurons rien décidé. Sauf Harcourt, qui connaît pour lui seul une autre issue, on nous verra quitter ce terrier !
– Il a raison, dit Blainville. Hâtons-nous.
– Godefroy et moi, reprit Chandos, sommes venus d’Angleterre afin de décider avec vous quel serait le meilleur jour et surtout quel est le meilleur lieu pour qu’Édouard et ses armées touchent terre sans difficulté… Godefroy a son idée, Richard, mais il aimerait connaître la vôtre.
– Vous m’en voyez honoré !
– Qu’as-tu à rire, Blainville ?
– Tu ne devines pas ?… Nous allons parler de débarquement et je viens de citer Raoul de Bigars…
– Il fut un de mes plus hardis compagnons…
–… avant que tu ne sois des nôtres, interrompit Blainville. En ce temps que tu gardes en mémoire, Édouard commettait des erreurs, comme ces petits débarquements qui tous échouèrent et firent tant de morts inutiles. Tu contribuas à l’échec de l’un d’eux, Godefroy, juste avant d’aller chercher refuge en Brabant, et ce qui me réjouit, c’est que tu es avec nous ce soir pour qu’un autre, grandissime, réussisse !
Il y eut un silence. Ogier imagina tous les regards des conjurés fixés sur Harcourt – lequel parut en évaluer la pesanteur.
– C’est vrai, dit-il enfin. Une fois, j’ai repoussé les Anglais et les Flamands à la mer. Je me trouvais aux Pieux, cette nuit-là, quand ils nous sont tombés dessus. Sans doute étaient-ils cent, nous étions moitié moins. Bigars, moi et mes hommes en avons occis une vingtaine et avons pris notre portion de butin…
– Tu fus accusé d’avoir tout emporté en ton château !… Sans moi, qui lui ai soufflé comment se défendre, Bigars aurait été décollé !
– Tous ceux qui combattirent avec nous n’ont-ils pas dit aux juges quelle part ceux de Saint-Sauveur prirent à cette échauffourée ?… Non ?… Ah ! les ingrats… Mais cesse, Richard, de faire l’important. Ce n’est pas sans tristesse que j’ai fait hommage à Édouard, et ce débarquement que je veux réussir ne me
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