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La fête écarlate

La fête écarlate

Titel: La fête écarlate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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veiller sur mon père et de protéger Gratot…

III
    – Le bal champêtre est achevé, les échoppes sont closes et les manants sont partis se coucher…
    – Je crains pourtant, messire, que nous ne puissions bien dormir !
    Des torches brûlaient de toutes parts. Chevaliers, écuyers, soudoyers et palefreniers, tous les mâles – ou presque – de l’éphémère cité de toile et de bois semblaient décidés à passer la nuit éveillés. Ogier en vit jouer aux dés sur le seuil d’une tente ; réunis autour d’un seau ou d’un baril de vin, d’autres s’étourdissaient dans des beuveries forcenées. La plupart des jouteurs malchanceux du matin ou de l’après-midi semblaient vouloir tout oublier dans le jeu ou la boisson. D’anciens adversaires procédaient, en présence de nombreux témoins, à des règlements de comptes d’autant plus criards que perdants et gagnants se livraient à des marchandages serrés. Le désarçonné, furieux d’avoir été vaincu sans contestation possible, s’employait à racheter son armure et son cheval tout en vitupérant cette coutume ancestrale heureusement caduque en certains autres lieux du royaume. La colère en gagnait quelques-uns lorsque les prix exigés pour ces restitutions se révélaient démesurés. De mortelles menaces s’échangeaient, et le tournoi à venir exaspérait les litiges. De la rive du Talbat à celle de la Vienne, ce n’étaient que hurlements de rage, rires satisfaits, éructations d’ivrognes, insultes, blasphèmes, et le piment de quelque chanson indécente, le tout criblé par les cris des ribaudes brutalement happées çà et là. Il arrivait qu’on trébuchât sur un corps d’homme saoul, contre une selle ou des parties d’armure empilées pêle-mêle, car les vainqueurs des chevaliers occis, s’ils étaient pauvres et avides, vendaient leur harnois pièce par pièce, à l’encan, de sorte que leurs acheteurs étaient les hobereaux et les archers du guet.
    Thierry eut un rire sans joie :
    – Tous ces petits vainqueurs se prennent pour des preux !
    Ogier ne répondit pas, observant parmi les curieux hilares d’une controverse acharnée, quatre témoins muets, dédaigneux et austères. Sans qu’il les connût, il eût pu affirmer qu’à l’issue de la journée du lendemain, ces hommes seraient les plus âpres à rançonner ou vendre leur butin, car c’étaient des tournoyeurs de profession, reconnaissables non seulement à l’arrogance de leur visage, mais aussi à leur haubert rouge sang, tailladé par les coups, réparé grossièrement au fil de fer, et qu’ils portaient avec autant d’ostentation que monseigneur Fort d’Aux sa chasuble. Plus soucieux de gains que d’honneurs, ils s’étaient abstenus de prendre part aux joutes, les trouvant, selon leur coutume, fastidieuses et trop aventurées pour un profit insuffisant. Lors d’un tournoi, dans un champ clos bourré de combattants, ces bataillards étaient capables de tout. Cultivant sans cesse, avec forcennerie, leur vigueur et leur habileté, ils avaient acquis pour ces ébattements-là une pratique et une perversité redoutables. Qu’ils fussent du côté de l’appelant ou de celui du défendant, et même partagés par le sort, ils savaient s’unir opportunément pour crocheter le frein des chevaux apeurés afin de se saisir à la fois des bêtes et des cavaliers et en exiger des émoluments princiers. On les craignait et méprisait comme des diables.
    – Il faudra, Thierry, te méfier de ces trigauds (145) . Leur vaillance est celle des frelons. Ils sauront se jouer du Roi d’armes et des juges…
    Devant la tente du comte d’Alençon, deux pots à feu fichés en terre éclairaient quelques vougiers apostés, immobiles. Ogier passa, indifférent en apparence. Quelques toises plus loin, Thierry s’arrêta :
    – Pourquoi ne pas le voir maintenant, messire ?… Il y va de sa vie ! Sans pour autant lui dénoncer Blainville, vous pouvez l’avertir de ce qui l’attend !
    Ogier hésita ; et comme il s’apprêtait à faire demi-tour, l’écuyer lui donna un coup de coude :
    – Voyez ces trois-là !… Ils ne se soucient de rien, eux ! Ils me paraissent pleins comme des futailles…
    C’étaient Guînes, Tancarville et Godemar du Fay, bras dessus, bras dessous, et chancelant un peu.
    Se souvenant des vœux de deux d’entre eux, l’un voulant planter son pennon sur une tour de Londres, l’autre décidé à combattre mille Anglais, pas un

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