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La fête écarlate

La fête écarlate

Titel: La fête écarlate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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de moins, et songeant qu’ils seraient ses alliés au tournoi, Ogier leur demanda :
    – N’allez-vous pas vous coucher, messires, pour être dispos demain ?
    – Hé hé, Fenouillet ! hoqueta Guînes, il fait trop belle nuit pour s’enfourner dans des couettes, même en compagnie d’une de ces ribaudes comme celle qui vient de nous aborder là-bas…
    Il eut un geste mou en direction que quelque maquerelle, sans doute, avait acheminé depuis Poitiers ; puis, passant de l’aménité à la fureur :
    – Savez-vous que ça me fait mal de vous voir les mains vides ?
    Tandis qu’Ogier, indécis, attendait une explication, la lueur d’un flambeau qu’un homme d’armes élevait pour passer donna fugacement à la face de Guînes une pâleur sulfureuse, presque funèbre. Un second hoquet le secoua, répandant une odeur de vin et de mangeaille. Malgré son ébriété, sa joie, l’assurance de ses façons, cet homme exhalait une tristesse farouche et sans doute incurable.
    – Pourquoi, messire, mes mains vides vous chagrinent-elles ?
    –  Pourquoi ? Pourquoi ? Êtes-vous sot à ce point ?
    Un sourire bref, méchant, fit apparaître les dents solides de Guînes. Son orgueil, brusquement dépouillé de maintien et de décence, ne fit que souligner, s’il en était besoin, sa médiocrité native.
    – Oh ! champion prodigue… Vous avez le front de me dire : Pourquoi ?… Mais, l’ami, vous avez reçu des prix somp… somptueux… que des femmes et damoiselles de qua… qualité eussent été bien heureuses de… de recevoir !
    Tandis qu’il soufflait, Guînes considéra Tancarville afin d’obtenir son assentiment.
    – Et vous les avez offerts avec une prodigalité de satrape… oui, oui : de satrape… à trois huronnes qui…
    Craignant sans doute que son compagnon n’allât trop loin dans l’amertume et l’offense, Tancarville se mit à rire. C’était un rire affreux, rugueux, qui ballonnait le goître naissant emmitouflé dans sa barbe. Avec ce cou puissant, ses gros bras sur lesquels l’étoffe du surcot semblait prête à craquer, l’épaisseur vraiment impressionnante de son torse, ce vicomte massif se croyait redoutable. Or, piètre cavalier, ce n’était qu’un tas de muscles graisseux, une force molle, quelconque. Sa charge de chambellan lui seyait à merveille.
    – Vous vous prétendez pauvre et vous dilapidez !
    – Ils ont raison, approuva Godemar du Fay.
    Lui seul semblait solide. Une moustache blonde embuissonnait sa bouche ; ses yeux pâles et délavés dévisageaient le « champion prodigue » avec un intérêt résolument sauvage. Il avait une voix sèche, glacée.
    « Ils me prennent pour un gars vigoureux tout emmaladi d’orgueil », se dit Ogier. « Mais peut-être que lui, Godemar, m’envie. »
    Il se résolut à demeurer courtois.
    – Messires, dit-il aux deux messagers d’Aiguillon, quand repartez-vous ?
    – Après-demain, dit Tancarville.
    – Qu’est-ce que ça peut te faire ? grogna Guînes. Le duc Jean, que tu connais sans doute, t’a-t-il chargé de nous épier ?… Ou Philippe ?… Ou cette admirable Jeanne ?… À moins que ce ne soit ce grand bourg (146) d’Alençon ?
    L’arrogance, le mépris contenus dans ces questions exprimaient mieux que des imprécations une haine sans fêlure envers la famille royale. L’essaim turbulent des images de guerre dont Ogier se trouvait assailli depuis son départ de la maison du chévecier se dissipa. Sous son front, une scène se présenta, précise, violente, colorée : Alençon seul, cerné, hurlant à l’aide et succombant, malgré son écorce de fer, sous une averse de massettes et d’épées.
    – Loin de moi, messires, l’idée de vous épier ! Je ne connais d’ailleurs ni le comte ni le roi…
    – Tu ne perds vraiment rien ! ricana Tancarville. S’il ne lui déplaît pas de regagner Paris (le chambellan désignait Guînes), il m’en coûte à moi… Quant à toi, hé, compagnon, es-tu heureux de revoir Tournai ?
    – Que non ! avoua Godemar du Fay. Je suis sire de Bouthion, Fenouillet… gouverneur du Tournaisis, si tu l’ignores… capitaine général aux frontières de Flandre et de Hainaut… et je m’y ennuie car il ne s’y passe rien !
    Thierry eut un accès de toux éloquent – et superflu. C’était une occasion, ces propos, de mettre habilement ce présomptueux en garde.
    – Méfiez-vous, messire, qu’il advienne bientôt quelque chose. Un grand

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