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La fête écarlate

La fête écarlate

Titel: La fête écarlate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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devant tous les hurons assemblés au château, c’était Augignac qui, d’un coup de bourlet (191) , avait rompu la jambe du traqueur…
    « Au même endroit que la mienne ! »
    Mais pourquoi donc revivait-il cela ? Était-il vrai qu’à l’approche de la mort on voyait couler son passé avec une férocité folle ? Sa blessure pouvait-elle être irrémédiable ?
    Tâtonnant autour de lui, il s’aperçut que sa geôle était nue : un sol de roc ; des parois de roc, suintantes et nauséabondes… rien pour s’allonger – ni lit ni paille – une escabelle à laquelle il manquait un pied…
    – Que Dieu te châtie, Oyré !… Que les archanges te châtrent !
    Il tremblait, bredouillait parfois «  Oh ! là là  », soupirait ; il était trop accablé pour hurler ou formuler, à voix basse, une quelconque obsécration. Cet espace d’un noir absolu abolissait déjà pour lui la notion du jour et du temps. Son souffle accru par l’impuissance, l’angoisse et la souffrance, n’était qu’un long râle entrecoupé de reniflements pénibles.
    Vivre !… Vivre ! En avait-il encore pour longtemps ? Ces hommes devaient être capables de tout… Que faisaient Thierry et les autres ?… Qu’advenait-il de Marchegai ?… De Saladin ?… Non, il ne pleurerait pas !… Non ! Non !
    Il voulut soulever son pied gauche ; sa blessure lui fit un tel mal qu’il murmura, effrayé, après avoir effleuré de ses mains ses chairs grumeleuses :
    – Ma jambe est morte… Jamais je ne sortirai d’ici !
    Il essaya de s’asseoir, pour prier ; il en fut incapable.
    Il s’encouragea : «  Bouge pas ! Chaque fois que tu remues, tu aggraves tes maux ! » Sa jambe s’enduisait de sang. Comment l’arrêter ? Allait-il s’en vider ?… Et cet air puant la pourriture ! Y avait-il, dans une des geôles attenantes, un corps en grand état de corruption ? Hormis l’Anglais et le moine prophète, quel misérable occupait la quatrième ?
    Une goutte tomba et s’enfouit dans le silence, un silence à la mesure de l’énormité de pierre, roc et donjon, appesantie sur ces cachots infects. La détermination du garçon y éclata dans un cri :
    – Je vivrai !
    – Courage !
    C’était Calveley ; il avait tout entendu, tout compris.
    – J’ai tellement besoin de vaillance… gémit Ogier, sans souci que sa voix atteignît le captif. J’ai peur !… Que vont-ils me faire maintenant ?
    Plutôt que de le conforter, l’exhortation de l’Anglais avait aggravé son angoisse. Le front moite, les mains crispées, lourdes d’être inutiles, les yeux aveuglés par ce noir épuisant, il se sentit cerné de forces malfaisantes.
    – Jamais je ne pourrai accomplir ma vengeance.
    –  Courage ! hurla de nouveau Calveley.
    Il avait raison. Il fallait vivre ; œuvrer à sa délivrance et croire, au plus profond de la désespérance, à la miséricorde divine.
    – Des éclisses !… J’ai deux éclisses à portée de mes mains…
    Tâtonnant, il retrouva l’escabelle bancale. Glissant sur son séant, il s’adossa au rocher. Serrant le siège contre lui, il se mit à tourner et retourner l’un des pieds dans sa mortaise, jusqu’à ce qu’il l’eût extirpé. L’autre résistant, il s’acharna en larmes pour enfin réussir.
    – Les démons !… Ah ! les démons…
    Il déboucha sa ceinture, enleva ses habits de bourras, puis sa chemise. Il déchira celle-ci en bandes de différentes largeurs dont il tressa certaines de façon à obtenir des liens solides. Alors, claquant des dents de froid et de souffrance, il posa les barreaux de part et d’autre de sa fracture et doucement, priant pour que son sang cessât de s’épancher, il enroula les bandes autour de sa jambe et les fixa par deux ligatures.
    Ce fut une épreuve cruelle dont il sortit épuisé. Furieux que sa douleur subsistât, il rendossa ses vêtements de bourre et fut pris d’une soif dévorante. Touchant ses lèvres, il les trouva gercées, desséchées. Il y passa sa langue puis, inquiet :
    – Sans Leignes, le coup aurait été plus fort, mais il ne s’est interposé que pour me tenir mieux à sa merci… Il va revenir me persécuter. Même si je n’y vois rien, je dois garder les yeux ouverts !
    La fièvre l’envahit. Les bras ramenés contre sa poitrine, les dents serrées, il essaya de résister aux frissons qui le traversaient, tandis que le souvenir des malandrins auxquels il devait sa géhenne demeurait

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