La Fille de l’Archer
l’œuvre divine. Par ailleurs, dans le cas présent, la bête en question n’exécutait aucune cabriole, elle prédisait l’avenir ! Ce qui relève de la magie.
Bézélios contre-attaque en prétextant que la bête lui a été vendue en même temps que le tour, dressée à cela par son précédent propriétaire… et que lesdites prédictions sont des affirmations sans conséquence, de simples boutades destinées à amuser les visiteurs.
Le prêtre hoche la tête. Sa main décharnée pioche dans l’urne à horoscopes et déplie les bouts de papier couverts de dessins approximatifs. Après avoir devisé à voix basse avec ses assesseurs, il admet que les prédictions sont vulgaires, malséantes, mais relèvent davantage de la scatologie que de la prophétie. La religion n’y est point moquée, non plus que les saints sacrements.
L’espoir renaît parmi les saltimbanques.
À ce moment paraît le baron de Ponsarrat que tous soupçonnent d’être l’organisateur de cette tracasserie. Il prend place à l’écart, entre les accoudoirs d’une cathèdre seigneuriale, et se fait apporter des pistaches au miel par un valet. D’un geste négligent, il signifie au tribunal de poursuivre comme s’il n’était pas là.
Le principal accusé est alors mandé. Les portes de l’écurie s’ouvrent, et trois hommes d’armes poussent au grand jour la cage au cœur de laquelle l’homme tombé de la lune se tient recroquevillé. La foule – qui hier encore s’amusait de l’apparence bouffonne de la bête et faisait la queue pour bénéficier de ses prédictions – pousse un cri d’horreur, comme si un démon surgissait des enfers. Les mères serrent leurs enfants dans leurs jupes, les pucelles défaillent, la trogne des hommes se convulse de dégoût.
Dès lors, les choses se précipitent, sans doute parce que Ponsarrat a grande hâte de partir à la chasse et n’entend pas perdre sa matinée en mômeries.
L’accusateur s’approche de la cage et, fixant la bête dans les yeux, lui enjoint de répondre à une liste de questions qui permettront d’établir son degré de compromission diabolique. La tentative se soldant par un échec, il proclame :
— Qu’il soit noté que l’accusé refuse de s’exprimer et s’obstine dans le péché.
À cet instant, l’orang-outan commet une faute impardonnable : il mime les gestes et les expressions du prêtre en les outrant de manière grotesque. C’est un tour auquel l’a dressé son précédent maître, et qu’il réussit à la perfection, provoquant l’hilarité des spectateurs. Wallah, elle, pense qu’en réalité l’animal tente par ce biais d’établir le dialogue, car elle a remarqué que les bêtes se « parlent » par signes, en agitant les oreilles, la queue, ou en clignant des yeux. Elle est tentée de l’expliquer au ratichon, mais encore une fois la mère Javotte la tire en arrière.
— Ferme-la ! lui souffle à l’oreille la mégère. Notre affaire est en train de s’arranger. Ne t’amuse pas à jeter de l’huile sur le feu !
La foule qui, une minute auparavant, se convulsait d’épouvante, se tord à présent de rire. Le singe y voit une approbation et redouble de grimaces afin de plaire à son maître. L’accusateur comprend enfin qu’il est la cible de ces caricatures. La rage flamboie dans son regard.
Le jugement est aussitôt rendu. La bête torte ayant mis en évidence son essence maligne et son irrespect religieux est condamnée à périr sur le bûcher. La sentence sera exécutée séance tenante. Quant aux saltimbanques qui l’ont hébergée, le seigneur Malvers de Ponsarrat étant intervenu en leur faveur, ils seront simplement bannis de ses terres et condamnés à n’y point revenir sous peine d’être suspendus par le col jusqu’à ce que mort s’ensuive.
— On s’en tire bien ! souffle Javotte. C’était à un poil de cul près !
Le reste va très vite car la cérémonie a été réglée d’avance. Les soldats ouvrent la cage et, de la pointe de la lance, poussent le singe dehors. L’orang-outan grogne, ne comprenant pas pourquoi on se montre soudain si méchant à son égard. A-t-il fait quelque chose de mal ? Aurait-il commis une erreur dans l’enchaînement des gestes que lui a inculqués le dressage ? Son esprit s’embrouille. Il tourne la tête vers Wallah, quêtant une aide qui ne viendra pas. Comme les hommes d’armes s’acharnent à le piquer, il déploie tout son savoir-faire dans
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