La Fille de l’Archer
l’argent de Wallah ; la petite garce lui doit bien cela depuis le temps qu’il la nourrit à ne rien faire !
Il s’offre de somptueux repas, il engraisse, comme Javotte et ses filles qui tournent à l’oie dodue. Il écoute parler les marins et se prend à rêver de contrées lointaines et fabuleuses où pullulent des monstres étonnants qui feraient sa fortune, telle cette tribu de nains à peau noire, dont on vient de lui révéler l’existence, et qui sont si minuscules que leur village tout entier peut tenir dans un coffret. Ou encore ces moutons dont la laine change de couleur selon le temps qu’il fait : bleue, grise, jaune soleil… Ah ! comme il aimerait voir ces choses !
Bientôt, tous les menteurs du port le connaissent et se bousculent à sa table pour se faire abreuver gratis en échange d’un conte à dormir debout.
Mais le temps passe et aucune occasion ne s’offre à lui. Il va de déception en déception, d’arnaque en arnaque. Bientôt la bourse de Wallah sera vide et il n’aura pas progressé d’un pouce. La misère est encore plus dure à supporter quand on sort d’une période de vaches grasses.
C’est alors qu’il entend parler du baron Ornan de Bregannog, et de sa collection d’animaux fabuleux.
Cette information lui est transmise par un moine mendiant, un aumônier qui arpente les routes en quêtant pour son ordre. L’homme, un ancien arbalétrier manchot, aime le bon vin. Il est entré en religion pour survivre, comme beaucoup de ses frères d’armes réformés pour cause de vieillesse ou d’infirmité. Devenu frère convers, il s’occupait des porcs, mais complies, vêpres et patenôtres l’oppressaient davantage qu’une cuirasse trop serrée, aussi a-t-il préféré devenir quêteur pour retrouver les grands espaces. Il se nomme frère Moritius ; il a vu beaucoup de choses.
— Ornan de Bregannog était à Azincourt, explique-t-il en baissant la voix. Il faisait partie de la première ligne de chevaliers français qui chargea les Anglais… Comme la plupart de ses pairs, il se croyait invincible. Pour tout ce beau monde enveloppé de ferraille, la bataille était gagnée d’avance, et c’est à peine si l’on aurait à tirer l’épée. Quelle erreur ! Chaque archer ennemi lâchait quinze flèches sans reprendre son souffle, le temps de compter jusqu’à soixante… et faisait mouche à chaque coup. Les chevaux sont tombés les premiers, écrasant leurs cavaliers. Les armures se sont enfoncées dans le sol boueux…
Bézélios s’impatiente. Il n’a guère envie de s’entendre une fois de plus conter la défaite d’Azincourt, cette bataille où la fine fleur de la chevalerie française a été défaite, laminée, par une bande de va-cul-nu anglais, souffrant de colique, et nantis pour tout armement d’un arc et d’une massue.
— Ornan de Bregannog a survécu, explique Moritius. Mais il a vu périr ses frères d’armes à cause de l’imprévoyance et de la bêtise des princes qui les commandaient. Dégoûté, il s’est retiré du monde. Il vit dans les montagnes et s’adonne désormais à la passion des bêtes fauves. Il les chasse et les collectionne. Son château est une enclave étrange où pullulent des animaux invraisemblables, car il est riche et achète sans discuter tout ce qui vient des terres africaines ou mauresques.
— Tu penses qu’il pourrait me vendre l’un de ses pensionnaires ? hasarde Bézélios.
— Certes non ! s’esclaffe le moine en vidant un troisième gobelet de vin. Il est plutôt du genre à acheter.
— Je ne comprends pas. Je n’ai rien à lui vendre.
Moritius se penche en adoptant une expression sournoise.
— Pour le moment, ricane-t-il. Mais ça pourrait s’arranger.
— Comment ?
— Ornan nourrit une obsession. Il rêve d’ajouter à son jardin zoologique une bête fabuleuse qui vit sur ses terres, et qu’il n’a jamais réussi à capturer. Si tu parvenais, toi, à t’emparer de cette créature, tu pourrais la lui vendre et devenir riche.
— Riche comment ?
— Assez en tout cas pour mener l’existence d’un gros bourgeois, t’acheter un commerce et te tourner les pouces jusqu’à la fin de tes jours en allant au bordel trois fois la semaine. Je connais Ornan, j’ai combattu à ses côtés. Lorsqu’il est revenu de la croisade, il a ramené un formidable butin de pillages. Il est en mesure de payer le prix fort, crois-moi, compagnon !
L’idée fait son chemin dans
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