La Fille Du Templier
appartenu à sa défunte mère. D’un geste superstitieux, il porta la main à son cou, où sous la cotte de
mailles pendait la vieille médaille consacrée à Rome. Puis il se fit violence, reprit
la tête de la colonne.
Un éclair zébra le ciel.
Aubeline et Bérarde rentrèrent instinctivement la tête dans
leurs épaules quand le tonnerre claqua. Le bruit effrayant se perdit en un
roulement sur les crêtes de la Sainte-Baume.
— Si ton père nous surprend, il nous tue ! dit la
géante.
— J’en doute, répondit la jeune femme. Il nous fera
jurer sur la croix de ne rien révéler.
Aubeline plissa des yeux pour repérer la troupe qui
progressait péniblement.
— Tu crois que c’est un trésor ?
— J’en suis sûre. Pourquoi sinon père prendrait-il
autant de précautions ? Il a fait garder les coffres jour et nuit. Nous n’avons
pas pu les approcher. Souviens-toi des lances des templiers.
Bérarde s’en souvenait. Toutes les deux, elles avaient tenté
d’amadouer les gardes aux croix rouges afin de découvrir ce que contenait l’un
des plus gros coffres. Elles s’étaient retrouvées plaquées au mur, une pointe
de lance sur le ventre. Aubeline avait usé de tous ses pouvoirs de fille
aimante pour faire parler son père. Ce dernier s’était contenté de répondre :
« Ces choses que nous protégeons appartiennent au Christ et je ne suis pas
autorisé à te les montrer. »
Aubeline serra les mâchoires. Elle s’était mis en tête d’ouvrir
ces maudits coffres et rien ni personne ne l’en empêcherait.
Longue et périlleuse avait été la descente dans le
labyrinthe. On avait consumé plusieurs torches. Othon avait fait un plan du
trajet. Au-delà d’une arche enjambant une rivière, ils avaient trouvé l’endroit
idéal pour entreposer le trésor, une vaste caverne où stalagmites et
stalactites formaient des colonnes gigantesques. Une prière fervente avait
suffi pour sanctifier les lieux.
À présent, ils étaient à l’air libre. L’intensité de la
tempête avait augmenté. L’orage libérait ses foudres qui s’abattaient en de
tonitruantes clameurs. Othon s’inquiéta. C’était un ciel d’apocalypse. Avaient-ils
eu raison d’emporter des objets sacrés si loin de Jérusalem ? Un éclair
foudroya un chêne à quelques pas.
— Seigneur ! s’écria un templier.
Othon devait reprendre les hommes en main. Alors que l’assourdissant
fracas du tonnerre les rendait sourds, il hurla :
— Mes frères ! Ressaisissez-vous !
Ils le contemplèrent, hébétés. Il les harangua.
— C’est Dieu qui dans Sa clairvoyance nous a envoyé ces
nuées afin de nous dissimuler aux yeux des hommes. Nous devons achever notre
mission. Avec moi, templiers ! Obturons cette entrée que nul ne doit
violer.
Ils avaient emporté des pics et des pioches en prévision de
ce travail. Othon s’empara d’un outil, grimpa au-dessus de la grotte et
entreprit de desceller un rocher. Tous virent ce géant à la poitrine protégée
par la croix rouge pattée ; il leur parut indestructible, guidé par la
main de Dieu. Les quarante chevaliers et écuyers se jetèrent à l’assaut de la
montagne et unirent leurs forces à celle du commandeur. Des rochers se
détachèrent de la gangue qui les emprisonnait, provoquèrent une avalanche qui
rivalisa avec l’orage. L’entrée de la grotte disparut, les blocs s’empilèrent, la
terre coula par milliers de quintaux, des arbres déracinés dégringolèrent et
achevèrent de dresser un obstacle infranchissable.
Othon soupira. Son tiers de trésor était hors de portée des
prédateurs de ce monde. Il se signa avant de redescendre sur le chemin. À Meynarguette
l’attendait sa fille. La séparation allait être difficile, mais il ne pouvait
rester une nuit de plus à Signes. Il s’était voué à la cause du Christ. Son
devoir était de retourner en Terre sainte et de mourir pour la défense de
Jérusalem.
— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? demanda
Bérarde.
— On rentre, répondit Aubeline.
La grotte était condamnée. Pour le moment. En enfourchant sa
monture, elle jura tout bas qu’elle prendrait sa part du magot. Le Temple qui
lui avait ravi son père et sa fortune le lui devait.
26
— Cent deux morts, annonça le moine au buste sanglé de
fer et de cuir.
Hugon des Baux ne broncha pas. Il savourait. L’embuscade
avait payé. Cent deux Catalans de moins. Ces chiens ferraillaient pour le
compte d’un
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