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La Fille Du Templier

La Fille Du Templier

Titel: La Fille Du Templier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Thibaux
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appela Pierre.
    Le chevalier de Signes abaissa son épée. Il se tourna vers
le maréchal qui sortait de l’église avec cinq autres templiers. C’était une
délégation, il s’y attendait. Revêtus du manteau blanc frappé de la croix
pattée rouge, ils s’approchèrent solennellement. Il se dégageait d’eux une
force qui faisait l’admiration de Jean et inquiétait les Vénitiens. On
craignait leur foi, leur âpreté en affaires, leur passion pour la guerre.
    — Ton bras est-il à nouveau vaillant ? demanda
Pierre en contemplant l’épée de Jean qui avait frappé le mannequin de paille
sur lequel s’entraînaient les soldats.
    — Il se fatigue vite, répondit le Signois.
    Depuis qu’il tenait sur ses jambes, il se livrait à ces
exercices deux fois par jour après laudes et avant vêpres. Les forces lui
faisaient toujours défaut, il s’en était rendu compte en croisant le fer avec
le maréchal. À deux reprises, le templier l’avait désarmé.
    — Tu es solide ! Et d’une bonne lignée. N’est-ce
pas, mes frères ?
    Les cinq hommes acquiescèrent en silence. Tour à tour, ils s’étaient
penchés sur la carcasse de Jean. Tour à tour, ils avaient épuré son corps par
les soins et préservé son âme par les prières. Ce chevalier méritait d’appartenir
à l’Ordre ; ils le souhaitaient. Othon d’Aups, avant de partir pour la Provence, leur avait demandé de tout mettre en œuvre pour que Jean d’Agnis rejoigne leurs
rangs si le Seigneur lui prêtait vie.
    — As-tu réfléchi à notre proposition ? s’enquit
Pierre avec gravité.
    — J’y songe, il faut me laisser encore une nuit.
    — Je t’accorde ce délai. Nous repartons demain pour
Malte. Ton adhésion à l’Ordre nous honorerait et ce serait grande joie pour moi
de t’enseigner notre règle.
    Ils le quittèrent pour se rendre au port où les attendait la
grosse nave frappée de la croix rouge qu’ils finiraient d’affréter. Elle était
amarrée au bout d’une avancée sur pilotis, comme perdue dans la poussière
soulevée par les sandales des ouvriers du port. Jean se décida à faire quelques
pas dans la cité. Venise grouillait. Des foules s’agitaient, s’entrecroisaient
sur les quais et les ponts. Les canaux retentissaient des cris des marchands. À
tout moment, des barques lourdes de marbre, de tonneaux, de caisses et de
bétail accostaient. L’eau vaseuse battue par les rames bouillonnait le long des
coques ; les esquifs se frôlaient dans les canaux étroits. Il s’en
échappait des chants. Ces voix se mêlaient à celles des charpentiers, des
forgerons et des sculpteurs qui, jour après jour, venaient grossir les rangs
des bâtisseurs. La cité s’embellissait d’heure en heure, s’agrandissait, gagnait
de l’espace sur la lagune. Jean partageait cette passion rythmée par les coups
de boutoir des machines enfonçant les pilotis et les milliers d’outils
façonnant le bois et la pierre. C’était un appel. Il avait sa place parmi ces
gens. Les nobles marchands de Venise recrutaient. Un homme de sa trempe pouvait
prétendre au grade de capitaine dans l’une des nombreuses troupes servant les
grandes familles.
    Il était à la croisée des chemins. Partout dans le monde, des
chevaliers transfuges se taillaient des fiefs, amassaient des fortunes. Il
avait le choix. Personne ne l’attendait en Provence. En ce mois de novembre, la
nuit tombait rapidement, un brouillard naissait de ses entrailles, effaçant en
quelques instants les îles alentour. Jean redoutait ce passage de la lumière
aux ténèbres. Dans les lagunes proches, ce n’étaient que feulements et plaintes.
Les odeurs et les relents se faisaient plus forts ; des monstres marins
pouvaient surgir de la fétidité des marais qui cernaient la ville flottante, des
pillards attendaient l’heure propice pour s’approcher des entrepôts. Sortir de
Venise la nuit était impossible.
    Plus que d’habitude, Jean s’y sentit perclus. Pourtant, tout
autour de lui, la vie continuait avec ses marins ivres, ses mendiants loqueteux
et scrofuleux, ses diseuses de bonne aventure et ses femmes aux chairs offertes.
Depuis qu’il était rétabli, il n’avait jamais osé goûter aux plaisirs
empoisonnés de la cité.
    L’une de ces créatures, dont la bouche était un fruit
éclatant à la lueur d’une torche, l’appela :
    — Viens, viens, bel étranger, j’aurai pour toi les
caresses d’une esclave africaine. Ma bouche est toute chaude, ma

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