La Fille Du Templier
ne pouvait le terrasser. Il se sentait de taille à affronter un dragon, à mettre en
fuite une légion de goules, à terroriser une meute de loups-garous.
La soif de justice et de reconnaissance le poussait vers
Signes. Si on l’accusait de forfaiture ou de crime, il saurait prouver son
innocence par tous les moyens ; il était même prêt à se soumettre au
jugement de Dieu dans un combat à mort contre le chevalier de Casteljaloux.
— Nous ferons une halte à la maison forte de
Meynarguette, dit-il pour faire diversion. C’est un petit fief tenu par la
fille de mon ami, le templier Othon d’Aups.
Il eut un sourire au souvenir de ses discussions avec le
commandeur. Ce dernier – il l’avait deviné -l’aurait bien pris pour gendre. Aubeline,
elle s’appelait. Joli prénom. Il avait hâte de voir à quoi ressemblait cette
jeune femme dont le père avait vanté les vertus chevaleresques, ce qui était
plutôt étrange pour une personne de son sexe.
Élise ne reprit cependant pas confiance. La nature lui parut
plus hostile que jamais.
Le premier jugement ne fut pas celui de Dieu, mais celui du
diable. Jean s’en rendit compte au dernier moment en se souvenant de l’endroit
et de toutes les sombres histoires qui y étaient rattachées.
— Si tu dois prier, c’est le moment, dit-il à Élise. Nous
sommes en vue du pont du Diable.
Blêmissante, Élise serra fermement ses cuisses sur les
flancs de sa monture et empoigna courageusement le manche de sa courte épée. Elle
n’apercevait pas encore le vieux pont qui franchissait le Latay. Elle n’avait d’yeux
que pour la tour de Paneyrolle, ancienne tour de guet romaine assez vaste pour
contenir une compagnie d’archers. Une oriflamme noire y flottait. Jean avait
évité l’édifice à la réputation sulfureuse. Cette tour maudite n’avait jamais
été attaquée et détruite par les seigneurs de Signes par crainte d’une
malédiction proférée par un ermite en l’an mille : « Qui abattra la
tour de Paneyrolle verra sa lignée s’éteindre. » Quelque chose de
diabolique vivait à cet endroit, il le sentait, Élise le sentait, les chevaux
le sentaient et se montraient nerveux. Des millénaires les séparaient des
premiers hommes qui tremblaient à l’idée de s’approcher de ce lieu interdit.
Leur angoisse augmenta. Jean avait pris les devants. À vingt
pas du pont, Hercule ne voulut plus avancer.
— Qu’as-tu ? lui demanda Jean en lui flattant l’encolure.
Le cheval battit des antérieurs, renâcla, communiquant sa
nervosité à la monture d’Élise. La jeune écuyère ne parvenait pas à maîtriser
sa jument qui tournait bride.
— Par tous les saints ! jura Jean.
Il déboucha soudain de l’autre côté du pont. Noir sur un
cheval noir. Noir aussi le heaume allemand qui lui couvrait le visage. Noir le
blason frappé d’une tête rouge de loup. Une quinzaine de porteurs de lance, eux
aussi vêtus de noir, apparurent à leur tour.
Ce chevalier sombre était bien plus grand que le prince d’Antioche.
Des écailles d’airain couvraient le poitrail du solide destrier qu’il menait
fermement.
— Qui est-il ? bégaya Élise qui tirait de toutes
ses forces sur les rênes.
— Dieu seul le sait, je ne connais pas son blason.
Il poussa un Hercule rétif vers le pont. Le fidèle compagnon
humait l’odeur de l’autre bête. Il voulut partir au galop mais Jean le retint.
— Es-tu le sire de la tour de Paneyrolle ? demanda
Jean.
— Oui… et le maître de ce pont. Tous deux ont été
donnés à mon grand-père par l’évêque de Toulon.
— Je m’appelle Jean d’Agnis et je reviens de Terre
sainte pour reprendre possession de mon pagus sur les hauteurs de Signes. Je te
saurai gré de nous laisser passer.
— Les Agnis n’existent plus. Tu es un imposteur.
Hercule s’ébroua comme avant une bataille. Son instinct ne
le trompait jamais. Celui de Jean non plus. Un picotement derrière la nuque, une
sensation de froid dans tout le corps, il connaissait les symptômes qui
précédaient la charge.
— Je suis le dernier, il est vrai, et un Agnis n’accepte
pas les insultes. Je comptais me rendre à Signes sans dommage, je pense m’être
trompé.
— Tu vois juste. Tu n’iras pas plus loin. Il y avait d’autres
routes. Celle-ci est mienne. En temps normal, je t’aurais fait payer la dîme, mais
aujourd’hui le prix du passage a changé.
— Oui, répondit Jean d’un ton ironique. Tu vas me
devoir
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