La Fille Du Templier
la
femme après les avoir examinés.
— Où te rendais-tu avec ton chevalier ? demanda le
vieux moine.
Élise eut la présence d’esprit de mentir par omission.
— À Meynarguette. Mon chevalier qui revient de croisade
avait promis à un templier de rencontrer sa fille.
— Comme c’est étrange, répondit le moine. Othon d’Aups
et ses templiers étaient à Meynarguette il y a un mois. Je vais dépêcher un
messager à Aubeline d’Aups pour lui dire qu’un ami de son père est au moulin.
— Merci, mon père.
Le moine médecin confirma que les deux bougres étaient
solides et corrobora le diagnostic de la guérisseuse. Le petit écuyer rayonnait
de bonheur. La Vierge de Gémenos l’avait écouté. Les anges descendus du ciel
protégeaient son bon chevalier.
Élise retrouva le chemin de la prière et s’agenouilla entre
les blessés. Elle chercha les mots qu’elle avait entendu prononcer maintes fois
dans les églises de Marseille par les prêtres lors des sermons ou sur les
embarcadères par les prêcheurs en partance pour Jérusalem ; elle y mêla les
siens : « Dieu des pauvres et des malheureux, Tu as tiré Jésus du
gouffre de la mort et Tu as mis en sa bouche le chant pascal qui retentit dans
le cœur de Ta croyante. Donne-moi d’aimer comme lui Ta loi ; fais pour ces
chevaliers ce que Tu as fait pour Lui, et j’annoncerai Ton amour et Ta vérité
jusqu’à mon dernier souffle. »
29
Aubeline et Bérarde pénétrèrent dans le moulin où les meules
broyaient le grain dans un bruit d’enfer. Un moine les conduisit dans une salle
annexe où étaient entreposés les sacs de farine. Quand on leur avait dit qu’un
ami d’Othon d’Aups et le chevalier noir de Paneyrolle se trouvaient au moulin, elles
s’étaient armées. Elles se présentèrent l’épée et la hache à la main, prêtes à
découper le chevalier noir en rondelles.
— Holà, demoiselles ! Qui voulez-vous tuer ? leur
demanda le père supérieur.
Elles demeurèrent pantoises. Les chevaliers couverts de
bandages buvaient du vin en devisant comme de vieux amis sous le regard
bienveillant d’un page au visage de fille. Les deux hommes levèrent leurs
gobelets en direction des nouvelles venues.
— Est-ce toi, Aubeline, la fille de mon ami Othon ?
s’enquit le chevalier au noble visage.
Jean s’était naturellement adressé à celle qui ressemblait à
Othon. La belle aux traits énergiques, dans un geste tout féminin, rejeta sa
chevelure bouclée en arrière.
— Oui, et toi, tu es Jean d’Agnis qui a mis toute la
chrétienté en émoi à Antioche ?
Ils se mesurèrent du regard, s’apprécièrent. Jean était
heureux. Aubeline était telle que l’avait décrite son père… mieux encore. Il n’aurait
su dire pourquoi, mais il lui prêtait des qualités qu’Othon n’avait pas mises
en valeur. Son cœur battit un peu plus vite.
— Il faut oublier Antioche, dit-il tandis que ses yeux
se voilaient de tristesse.
— C’est chose impossible, répondit Aubeline en
réfrénant son émoi. Ta renommée te précède et je dois avouer qu’elle ne joue
pas en ta faveur. Mon père est reparti pour la Terre sainte. Rejoins-le, je t’en conjure.
— Et s’il me plaît de rester ici ?
— Alors il faudra plus qu’un miracle pour sauver ta vie.
— Disons un demi-miracle si je lui apporte mon aide, intervint
le chevalier noir.
— Par le Christ ! s’écria Aubeline. Toi, chevalier
de Paneyrolle, tu n’es pas en odeur de sainteté à Signes. Je parie que le
seigneur Bertrand te ferait pendre si tu osais descendre dans la vallée. Et toi,
Jean d’Agnis, ton sort ne vaut pas mieux ! Le sire de Casteljaloux et ses
hommes envoyés par Eléonore d’Aquitaine veulent se saisir de toi et te torturer !
Élise était devenue toute blanche. Ce qu’elle entendait la
terrifiait.
— Bon chevalier, écoutez-la. Partons pour Toulon, nous
trouverons bien un bateau pour l’Orient !
— Qui est ce jeune garçon ? demanda Aubeline.
— Mon écuyer, répondit Jean.
Aubeline et Bérarde trouvèrent la réponse cocasse. C’était
la première fois qu’elles voyaient un écuyer si frêle.
— Ton écuyer ne semble pas fait pour devenir chevalier,
mais il est plus sensé que toi, dit Aubeline qui commençait à être envoûtée par
cette bourrique de croisé qui la couvait d’un regard chaleureux.
Envoûtée au point d’ajouter :
— Je veux bien te loger à Meynarguette, le temps
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