Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Fille Du Templier

La Fille Du Templier

Titel: La Fille Du Templier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Thibaux
Vom Netzwerk:
le colporteur.
    L’homme juché sur son banc était cramoisi. Cette rougeur
tranchait avec la blancheur de sa barbe en pointe. Comme les dames ne levaient
pas le siège de son étal, il farfouilla sous la bâche de son long chariot et en
tira des coupons d’Orient aux motifs compliqués, des étoffes moirées, des
tissus brochés, cloqués, côtelés, le meilleur de la production des Flandres, d’Allemagne
et d’Angleterre. Il ouvrit un coffret où miroitaient des perles et de l’ambre, soulevant
et enfiévrant la gent féminine. Puis comme il voyait s’adoucir les traits de
Jausserande, il descendit ses prix.
    Jausserande et Adalarie, penchées l’une vers l’autre, se
chuchotèrent quelque chose à l’oreille. Elles hésitaient. Le choix était
difficile. L’œil ne parvenait pas à se poser parmi le dégorgement des tissages
et des objets précieux éparpillés. Leur échange ne dura pas, Jausserande venait
d’apercevoir Edmond.
    — Il est là, murmura-t-elle.
    — Qui ?
    — Ne te retourne pas… Derrière toi, le Casteljaloux et
son butor d’écuyer.
    Souriante, Adalarie se fit complice. Les demoiselles eurent
un mouvement discret de la tête et Alix rougit en découvrant Ancelin si près d’elle.
Si près qu’elle sentit son souffle sur son visage. Confus, l’écuyer recula. C’était
peut-être l’occasion rêvée de prendre une initiative, de lui offrir une perle
ou des boucles d’oreilles vénitiennes, mais la panique s’empara de lui. Il
avait peur de l’offenser en manifestant son désir de la courtiser devant tant
de témoins. Il mesura soudain combien sa bourse était maigre. Avec ce que lui
comptait chaque quinzaine Casteljaloux, il pouvait tout juste nourrir son
cheval et boire quelques hanaps de vin. L’argent se gagnait à la guerre, les
fortunes se bâtissaient lors des pillages et il n’avait jamais guerroyé. L’Aquitaine
était en paix avec ses voisins. Il envia les colporteurs qui remplissaient
leurs cassettes de monnaie. De toute façon, il avait laissé passer l’occasion. À
présent, l’intérêt d’Alix Gonter de Dardanus était ailleurs. Les jeunes femmes
observaient le manège de Jausserande. Cette dernière parlait à voix basse avec
le marchand.
    — J’en ai toujours, répondit le rusé bonhomme.
    — J’en veux un.
    — Ce sera un quart de marc.
    Ce n’était pas donné, mais elle en avait assez de marchander.
Elle tira une piécette de sa bourse et la glissa dans la main du colporteur. En
échange, il lui donna ce qu’elle désirait : un citron. Un fruit si rare qu’on
l’enfermait dans son coffre avec ses bijoux.
    Jausserande tira une épingle de sa chevelure et piqua le
fruit qu’elle pressa. Une goutte se forma. Elle la déposa sur son index et l’étala
sur ses lèvres. L’acidité l’irrita. Le sang afflua. Les lèvres gonflèrent. On
procédait toujours ainsi avant un rendez-vous galant.
    Absorbé par sa quête de renseignements, Edmond de
Casteljaloux n’avait rien remarqué. Lorsqu’elle l’aborda, la bouche pulpeuse et
le regard brillant, il s’inclina avec respect.
    — Tu viens dépenser l’argent de ta reine ? demanda-t-elle
avec une pointe d’ironie.
    Elle avait le don de le désarmer à chaque rencontre ; elle
n’y mettait aucune malice, croyait-il. Tant de naïveté le perturbait. Elle
était sans cesse sur son chemin, l’agaçant par ses cocasseries, ses pitreries
et ses excès de gaieté, et lui qui était un rude guerrier acceptait avec
gravité que ce feu follet troublât son existence.
    À l’évidence, elle lui plaisait. Était-ce dû à l’atmosphère
de la cour d’amour ? À ses longues conversations avec les dames qui
vivaient dans le luxe et le confort ? Aux concours de poésie auxquels il
assistait ?… Il n’était plus tout à fait le même homme. Certes, il n’avait
rien d’un félibre, mais ses mœurs s’étaient adoucies. Il apprécia l’artifice
auquel elle avait eu recours pour rendre ses lèvres encore plus gourmandes. Pour
le reste, aucun changement. À quoi bon ? Elle était la perfection incarnée.
La peau laiteuse, le nez mutin, les taches de son et le feu de ses cheveux
faisaient de ce visage le plus attirant de tous les visages de femme dont il se
souvenait.
    Il se racla la gorge. Il avait même rêvé d’elle à plusieurs
reprises. Elle lui apparaissait dévêtue dans un palais où chantaient des
fontaines et des oiseaux multicolores. Les seins petits, les jambes minces,

Weitere Kostenlose Bücher