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La Fille Du Templier

La Fille Du Templier

Titel: La Fille Du Templier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Thibaux
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glissait
des rochers de la Paillette aux bois épais de la Guicharde. Il devinait des présences sous le ciel vif et clair d’où tombait un jour blanc de
gelée. Pas un souffle n’agitait les cades et les chênes chétifs. Pas un animal
ne se manifestait dans les fourrés. Pourtant il y avait foison de loups et de
rapaces au sein de ces étendues sauvages. Il désigna un point situé derrière
une ligne de rochers semblables à des dents tordues.
    — … C’est là-bas qu’elles invoquent les forces du mal, près
de l’abîme des Morts et du trou du Sarcophage. Elles tirent leurs pouvoirs des
avens et des labyrinthes. Vois-tu, il y a la montagne sacrée tournée vers le
ciel et les entrailles de la terre menant au royaume de Satan. La seule à les
avoir combattues est Marie Madeleine. La sainte les a repoussées dans les
plaines et les vallées. On le sait tous ici et tu ne l’ignores pas non plus :
Dieu leur a abandonné de vastes domaines. Je te le répète, Dieu a la Sainte-Baume et le diable règne à Siou-Blanc. Le chevalier noir doit te paraître bien
craintif, mais j’ai mes raisons. Sixtine avait…
    Robert ne confia pas son secret. Il changea de sujet.
    — … Tu devrais t’interroger sur les événements qui t’ont
obligé à revenir ici. C’est à Signes qu’on prend la mesure de son destin. C’est
à Signes que t’attendent les plus dures épreuves de ton existence, le bonheur
ou le malheur.
    — Je suis chez moi ! Je suis naturellement revenu
là où je suis né, là où je peux servir au mieux la Provence, terre de mes ancêtres.
    — Chez toi, ces quelques manses envahies par les ronces…
Viens par là !
    Tandis qu’ils discutaient, le chevalier noir l’avait
entraîné vers le sud, s’éloignant des gouffres et des ravins qu’il craignait. Il
dirigea son destrier à travers un dédale de rocaille et de troncs tourmentés. Soudain,
la plaine de Signes apparut en contrebas.
    — À la bonne heure ! s’écria Jean en découvrant le
village blotti au pied de ses deux collines.
    L’émotion le gagna. Des larmes coulèrent sur ses joues
froides. Ses racines étaient là. Ses parents, ses arrière-grands-parents et
toute la lignée des Agnis dont l’origine se perdait dans la nuit des temps
avaient bu l’eau du Figaret, taillé les oliviers, sarclé les champs, mené les
troupeaux en pâture. Tout ce qu’il avait désiré sans en prendre véritablement
conscience tournait dans sa tête. Le visage d’Aubeline d’Aups s’inscrivit dans
ce paysage. Il l’aimait. Il l’épouserait. Tout lui parut simple : Aubeline,
une ferme, du bétail, un champ de blé, quelques centaines d’oliviers… et des
enfants. Il lui semblait qu’il pouvait tout avoir d’un claquement de doigts. Et
cependant Robert avait raison. En regardant la grande barre d’Agnis qui
longeait la plaine sur trois lieues, il mesura la difficulté de s’y établir. Cinq
à dix ans seraient nécessaires pour reconquérir et bâtir un petit fief sur ces
hauteurs et, à vingt-six ans, Jean était déjà sur la pente descendante de son
existence. Il se sentit vieux et démuni. À quoi bon entreprendre des projets d’envergure
quand l’espérance de vie était d’à peine plus de quarante ans.
    Robert qui l’observait devina ses pensées.
    — Si tu t’en sors, je t’aiderai à remettre à neuf ton
héritage. Nous utiliserons les pierres taillées de l’ancienne forteresse ligure
et mes paysans se feront un plaisir de redonner vie à tes champs.
    Ces paroles lui firent du bien. Jean regarda mieux Agnis. Des
fumerolles tachaient les crêtes de la montagne. La vie s’accrochait aux pentes
vertigineuses avec ses charbonniers, ses plâtriers, ses cadiers et ses bergers ;
il voulait s’y accrocher aussi, il en avait fait secrètement le vœu en y
associant Aubeline.
    — C’est la trêve ! s’exclama Robert. C’est la
trêve de Noël, je n’y avais pas pensé. Tu vas pouvoir te rendre à la cour d’amour
et demander justice. Regarde, on hisse les trois bannières de la dame de Signes.
    Robert pointait l’index vers le château de Bertrane. À cette
distance, il semblait peint sur une page de la Bible. Posé au ras des tuiles, il était pareil à une blanche nef ancrée dans une anse aux
eaux ocre. Ses tours étaient élancées ; la plus haute portait à présent
les symboles de la paix : les trois cygnes. L’un était or sur fond blanc, l’autre
blanc sur or, le troisième rouge sur azur.

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