La Fille Du Templier
faire ici ? cria l’écuyer qui ne
portait guère dans son cœur cette mégère ridée.
— Où est ton maître ?
Elle fit cabrer son cheval et sauta à terre. Elle se sentait
des jambes de vingt ans.
— Il est très occupé…
Ancelin paraissait gêné.
— Cela ne peut attendre ! répliqua-t-elle en
dépassant le jeune niais. Je suppose qu’il est là-dedans.
Ancelin ne répondit pas. Delphine se dirigea d’un pas décidé
vers le moulin désaffecté où le chevalier d’Aquitaine s’était rendu. Ce bien
appartenait à un lointain parent de Jausserande de Claustral, mais à sa
connaissance, il n’était pas habité. Quel intérêt y trouvait Casteljaloux ?
Elle eut un mauvais pressentiment. Le moulin était à quelques centaines de
toises du vaste domaine des sorcières de Signes la Noire. Le chevalier complotait-il avec les jeteuses de sorts ? Derrière son dos ? Elle
réprima un frisson. Les sorcières étaient ses amies, elle les achetait avec de
l’or et des présents. Cette pensée la rassura un peu. Casteljaloux était moins
riche qu’elle.
Une main la saisit à l’épaule et la força à s’arrêter.
— Je te dis qu’il est très occupé ! Personne ne
peut le déranger !
Delphine étouffa un juron. Cet Ancelin, ce maraud impudent
et grossier osait la toucher. Elle se dégagea. Il la devança et s’interposa
bras en croix pour lui barrer le passage. Elle dégaina la courte dague qu’elle
cachait sous sa pelisse d’ours. La lame était empoisonnée. Elle n’eut pas le
temps de frapper. Ancelin lui avait saisi le poignet ; il le tordit et la
désarma. Delphine riposta de sa main gauche, lui assénant une violente gifle. Puis
elle l’écarta d’un coup d’épaule.
— Je ne veux plus te voir, lui dit-elle en poursuivant
son chemin.
Déconfit et désemparé, Ancelin la vit soulever le loquet de
la porte.
Tu es trop en colère, ma fille, calme-toi, se dit Delphine
en pénétrant dans la bâtisse enfumée où de grosses poutres de chêne soutenaient
le plancher supérieur.
L’œil de la comtesse alla de l’antique trapetum aux
meules figées dans des toiles d’araignée. Le sol était constellé de fientes. Dans
un coin, un grand coffre vermoulu mêlait la sciure de son bois à un tas de
noyaux grisâtres. Il y avait au moins cent ans que l’endroit ne servait plus à
broyer les olives ; quant à la cheminée bâtie comme une borie archaïque, on
avait oublié de nettoyer le conduit au-dessus de l’âtre. Elle crachait un nuage
épais qui lui piquait la gorge. La fumée trouvait malgré tout son chemin en
suivant un courant d’air provoqué par l’ouverture d’une trappe au plafond. Quelle
idée d’allumer un feu dans un taudis pareil ! se dit Delphine. Plus que
jamais se posait la question de la présence de Casteljaloux dans ce moulin.
Elle dressa la tête. Le chevalier d’Aquitaine était sûrement
là-haut. Avec qui ? Delphine hésita, mais sa curiosité était trop forte, et
il était impératif qu’il apprenne l’arrivée de Jean d’Agnis. Elle se dirigea
vers l’échelle qui menait à la trappe et empoigna les barreaux. Elle n’entendait
rien si ce n’était le feu crépiter. Peut-être le sire dormait-il ? Elle
passa la tête par la trappe. La pièce supérieure baignait dans un brouillard
âcre et la pénombre régnait. Un autre feu avait été allumé, il rougeoyait dans
un angle. Tout d’abord, elle ne vit que la danse des flammes, puis elle
remarqua quelque chose qui bougeait. Delphine émergea complètement et s’avança.
Ses yeux s’agrandirent et elle se figea sur place, n’osant plus respirer.
Le sire d’Aquitaine était à moitié allongé sur une femme
dont elle ne distinguait pas le visage. Il allait et venait lentement entre les
cuisses largement ouvertes. Des mains délicates aux doigts bagués faisaient
pression sur ses épaules puissantes. Delphine était fascinée. À chaque
enfoncement, les omoplates saillaient, les muscles se gonflaient sous la peau. La
sueur perlait le long de la colonne vertébrale, le cul se durcissait et Edmond
poussait de légers gémissements auxquels répondaient ceux de l’inconnue.
Une bouffée de chaleur monta au visage de Delphine. Elle n’avait
pas oublié le temps béni où elle se livrait aux hommes qu’elle aimait. Elle
possédait le tempérament de la reine Eléonore… Elle avait encore la possibilité
de quitter cet endroit. Mais aiguillonnée par l’impérieuse nécessité
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