La Fille Du Templier
pas qu’on
discute ses ordres, elle le fit sentir à Delphine qui ravala sa bile et se mit
en retrait. Bertrane lança un appel au calme :
— Mes amis, nous n’avons aucune raison d’user de la
force en cette période de Noël. La trêve est sacrée. Nous l’avons décrétée à l’unanimité
avec mon époux et tous les nobles du fief réunis dans l’église Saint-Pierre. Nous
l’avons fait en toute conscience devant la Croix.
Sa voix était forte et déterminée. Elle s’adressait
également aux chevaliers et aux Signois rassemblés.
Elle laissa tomber l’épée et décida de sortir du château ;
elle irait dignement et sans crainte à la rencontre de la tempête. Stéphanie
désirait l’accompagner ; elle refusa la présence de la comtesse des Baux, toujours
prompte à en venir aux armes.
— Laisse-moi y aller seule. C’est de paix et d’amour qu’il
s’agit. Apaiser les cœurs et les esprits est ce que je sais faire de mieux. Demeure
auprès de nos sœurs et ne quitte pas Delphine d’un cheveu. J’ai peur que cette
femme rongée par l’ambition ne nous cause de sérieux ennuis.
— N’aie crainte, je l’aurai à l’œil.
32
Bertrane parut au pied de la muraille et échangea quelques
paroles avec Bérarde. La Burgonde descendit de cheval et se plaça à sa droite
après avoir détaché sa rondache de la selle.
— Mon bouclier te protégera et ma hache les tiendra à
distance, fit-elle.
Bertrane lui adressa un sourire bienveillant. Derrière les
chevaliers, la foule en bout de course s’était rassemblée et figée. À la vue de
la comtesse, grognements et cris de haine cessèrent.
— La dame ! La dame ! La dame !
Le titre roulait de bouche en bouche. L’apparition de la Vierge aurait eu le même effet. Les Signois la respectaient tant qu’ils eurent honte quand
elle lança :
— La trêve ne peut être rompue lorsque l’étoile sainte
est en route pour Bethléem. Et je vois là des êtres emplis de haine ! Et j’entends
battre les mauvais cœurs ! Lequel d’entre vous veut faire de la peine à
Jésus ?… Qu’il s’avance !
On s’évertuait à cacher les armes de fortune ; on
lâchait les pierres ; on regardait son voisin ; on se mit à chercher
le coupable de toute cette agitation. Il y eut un murmure et on se sépara en
une double haie pour mieux le désigner : le moine.
Lui n’avait pas lâché sa pierre. Il la serrait dans son
poing valide. Elle était coupante et dure, pareille à son visage osseux et
hargneux. La douleur de son bras entretenait sa rancœur. Il essaya de lutter
avec l’esprit de Bertrane, mais sa volonté n’était pas de taille. La dame le
contemplait sans indulgence. Il sentit la force qui se dégageait de ce regard
noir et pur, et fut contraint d’abandonner. Il poussa un cri de rage et jeta sa
pierre contre le mur du château avant de s’enfuir.
Pendant ce temps, Jean s’inquiétait pour la jeune comtesse
malgré la présence de Bérarde. Il se méfiait de la réaction des populaces. Les
Signois devaient être aussi versatiles que les peuplades de Palestine. Il avait
assisté à des retournements spectaculaires, à des révoltes spontanées, à des
bousculades sanglantes au cœur même des lieux saints. Cette femme s’exposait
dangereusement et il louait le courage dont elle faisait preuve. Bertrane
sourit aux chevaliers.
— Pardonnez-leur, messires ; ils se sont laissé
emporter, mais cela ne se reproduira plus : vous êtes sous ma protection.
C’était bien la première fois qu’une femme leur garantissait
la vie. Et quelle femme ! Robert la croyait descendue du ciel ; il y
avait sûrement une cohorte d’anges cachée quelque part prête à fondre sur
Signes. Elle était bien plus belle que ce qu’en disaient les paysans et les
voyageurs. Jean partageait cet avis en silence. S’il n’avait eu le cœur pris
par Aubeline, il se serait fait homme lige de cette comtesse. On ne pouvait qu’être
captivé par sa présence.
Elle portait un cercle d’or sur la tête. C’était son seul
bijou. Cet or et sa double robe de laine blanche au col et aux manchettes
couverts d’une fourrure argentée s’accordaient avec sa beauté éclatante. Dieu l’avait
voulu ainsi, la nature l’avait dotée d’une grâce incomparable. Le heaume
permettait toutes les indiscrétions. Par les fentes étroites que l’outil d’un
armurier avait ouvertes au niveau de ses yeux, Jean laissa couler son regard
sur Bertrane,
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