La Fille Du Templier
d’un exorciste envoyé par le pape. Songeuse et
désabusée, elle fixa son regard sur l’évêque qui déroulait un long parchemin. Le
prélat se gonfla d’importance. Il entrait dans l’Histoire et cette petite
compensation suffisait à son bonheur du moment. Il se disait qu’après tout il y
avait de l’argent à gagner s’il flattait le nouveau maître de la Provence tout en cherchant à saper l’influence de Barcelone auprès du pape. Et tout à ses
nouvelles pensées, il laissa couler un regard mielleux sur Raymond Bérenger.
L’auditoire attendait. Les seigneurs ne connaissaient pas le
contenu du document élaboré en comité restreint. Les tractations étaient
demeurées secrètes. La voix éraillée de l’évêque s’éleva et, à partir de cet
instant, la chevalerie provençale fut au supplice.
— … Au nom de Dieu, moi Stéphanie, déjà nommée, et mes
fils Hugon, Guillaume, Bertrand et Gilbert, abandonnons entièrement, délaissons
et cédons tous les droits auxquels nous prétendions sur le comté de Provence, et
nous imposons là-dessus un éternel silence, de sorte que ni nous ni aucun de
nos successeurs n’inquiéterons plus à l’avenir, à ce sujet, Raymond Bérenger, comte
de Barcelone…
C’était dit. La hache venait de tomber. Il y eut un
frémissement et des larmes. De sa voix étudiée, le prélat poursuivait sa
torture ; il y prenait un malin plaisir. Aubeline se mit à le maudire. Elle
serra la poignée de son épée avec laquelle elle aurait pu lui faire ravaler ses
paroles. La douce main de Bertrane se posa sur la sienne, apaisante. La
comtesse de Signes écoutait sans ciller, sans s’émouvoir, sans rancœur, la
longue litanie.
— … Nous leur abandonnons le château de Meyrargues, le
château de Trans, le château de Gordolos, le château de Lédina, le château d’Aix…
Nous faisons la paix, sans aucune ruse, avec tous les adhérents et amis du
comte que nous avons eus pour ennemis dans cette guerre, tant avec les vivants
qu’avec les morts, militaires ou fantassins, et avec tous ceux que pourra
désigner la mémoire dudit comte ; et si quelque chose du susdit plaid et
de la fin ci-dessus écrite était enfreint ou transgressé par nous ou par les
nôtres, si dans les quarante jours de l’avertissement qui nous aurait été donné
par vous ou les vôtres, nous n’avions pas réparé ou rétabli le dommage, moi, Stéphanie
des Baux déjà nommée, et mon fils aîné Hugon, nous nous mettrions en votre
pouvoir et n’en sortirions d’aucune façon jusqu’à ce que nous ayons tout réparé
à votre jugement…
Tous les regards se portèrent sur Hugon. Le fils de Stéphanie,
le sang aux joues, se tourna vers l’évêque et parut se perdre dans les petites
éponges humides de ses yeux torves. Ce sentiment de vertige et de détresse, qu’il
avait déjà éprouvé lors de sa reddition à Bertrane de Signes, l’envahissait de
nouveau. L’odeur de la traîtrise était partout. Craignant de défaillir au
milieu de cette assemblée massée sous les basses croisées de l’église, il
grimpa les trois marches qui le séparaient de l’autel et posa ses mains
tremblantes sur le marbre froid de la table, le regard planté dans celui du
Christ. Cette confrontation eut un effet bénéfique ; il se reprit
immédiatement et apostropha le représentant de Dieu :
— Dépêche-toi donc ! Avant que je ne te fasse
mettre en croix.
Il tira son épée et balaya l’autel de sa lame, brisant les
fioles et renversant le calice, mais il n’eut pas l’audace de fendre le
tabernacle.
— Sacrilège ! lança l’évêque en se précipitant
vers le comte de Barcelone.
Ce dernier demeurait serein. Il souriait, énigmatique, une
main nonchalamment appuyée sur le pommeau d’or de son épée Méduse. Il avait
pris ses précautions. Quatre arbalétriers tenaient en joue Hugon l’impétueux. Hugon
qui crachait sa haine à la terre entière.
— Ah ! Dire qu’on gagnerait son paradis rien qu’en
tuant les évêques et les cardinaux ! Ce sont tous des traîtres à la cause
chrétienne. Ils ont tous vendu leur âme au diable ! Voilà la vérité, frères
de Provence. Et toi, mère, comment peux-tu accepter les termes de ce traité ?
C’est la ruine de notre maison ;la déchéance de notre lignée. C’est
un suicide qu’on nous propose là.
— Tu signeras et tu apposeras ton sceau, beau cousin, ou
tu disparaîtras !
La voix avait claqué. Hugon parut
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