La Fille Du Templier
loin d’être terminée.
Delphine de Dye avait foi en la magie des trois sorcières de
Signes qui avaient de grandes connaissances en astrologie. Ces femmes se
transmettaient leur savoir de génération en génération depuis l’âge ligure ;
au contact des Grecs et des Romains, par le biais des religions égyptienne, mazdéenne
et juive, leurs ancêtres avaient accumulé des connaissances dans tous les
domaines. Les plus illustres s’étaient aventurées jusqu’aux rives du Tigre et
de l’Euphrate, dans les déserts de Nubie et du Thar à la rencontre des médecins
arabes et perses. Elles savaient lire et écrire, possédaient des notions de
mathématiques. Quand l’une sentait la mort proche, elle choisissait son
héritière lors d’une grande réunion annuelle des sorcières de Provence, du
Berry et du Cantal à l’abîme des Morts. C’était ainsi que se régénérait le trio
des « guérisseuses » depuis la nuit des temps. Bertrane n’avait
jamais reçu en audience l’une de ces créatures protégées par la comtesse de Dye
et la vicomtesse Adalarie. Ces Parques de la nuit avaient du sang sur les mains ;
elles n’œuvraient pas que pour le bien et l’amour du Christ. Elles invoquaient
le diable ; et les nuits de pleine lune, il n’était pas rare d’entendre
des grondements, des hurlements et des chants maudits du côté de la source du
Gapeau et sur le plateau de Siou-Blanc truffé de gouffres menant en enfer.
— C’est la paix à présent et aucune ville, aucun
château, aucun village n’a été détruit, dit d’une voix sèche et coupante
Stéphanie qui n’avait jamais eu d’estime pour les sorcières et les mages. Il n’y
a pas eu de massacre civil, pas de bûcher, nous avons perdu une bataille et la
guerre, et nous sommes entières, décidées à faire entendre raison à ceux qui
menacent l’avenir de nos enfants et à donner tort aux diseuses de bonne aventure.
— Et tes fils ? demanda Delphine.
— Ils sont vivants.
— Hugon se pliera-t-il à tes ordres ? poursuivit
la comtesse de Dye.
— Il se soumettra, répondit Stéphanie d’une voix qui
avait perdu sa fermeté… ou je le ferai enfermer, ajouta-t-elle.
Delphine croisa le regard inquiet d’Aubeline d’Aups. Elle en
déduisit que l’aîné des Baux n’était pas rentré dans le rang et qu’il était en
révolte ouverte avec sa mère. À l’occasion, elle interrogerait la fille du
templier. D’après un message qu’elle avait reçu, Aubeline et sa fidèle Burgonde
avaient été chargées de retrouver Hugon. Elle hocha la tête. Ce n’était pas la
paix tant espérée. Elle aurait préféré savoir Hugon mort, dépecé par les
corbeaux et rongé par les chiens errants, mais on ne pouvait en demander trop à
la Divine Providence. Il y avait d’autres moyens pour percer l’abcès qu’était
l’aîné des Baux ; elle songea à Harmelongue, Sixtine et Hécate dont l’art
des poisons atteignait la perfection. C’était une solution… déplaisante aux
yeux de Dieu. Elle avait un besoin urgent de se confesser. Elle perdit son air
farouche. La courbe impérieuse de ses lèvres fines s’affaissa. Elle revint sur
ses pas et s’engouffra sous le porche de la double porte, laissant ses sœurs
fêter le retour des aventurières. Son départ ne choqua pas Bertrane : elle
était habituée aux sautes d’humeur de Delphine. Les autres s’écartèrent. Aubeline
et Bérarde qui avaient assisté silencieusement à l’échange virent cette haute
silhouette s’en aller, la tête fièrement dressée, comme tirée en arrière par la
longue tresse blanche tranchant sur le noir de sa robe soyeuse rehaussé de
bandes argentées.
— On ne va pas tarder à avoir des ennuis avec cette
femme, fit discrètement Bérarde.
Aubeline acquiesça. Elle avait vu les problèmes pointer
quand le regard de Delphine avait croisé le sien.
Delphine partie, les rires perlèrent ; les Signois
manifestèrent à nouveau leur joie. Jausserande de Claustral était la plus gaie.
Par dix fois, ses baisers sonores claquèrent sur les joues de Bertrane.
— La vieille corneille s’en est allée ruminer son dépit
et ses complots. Nous allons boire et danser à présent.
— Jausserande ! Comment peux-tu être aussi dure
avec Delphine ?
— C’est un monstre. Un despote ! Une Messaline !
Pendant ton absence, elle a dénaturé notre cour. Elle a renvoyé les pauvres
paysannes battues par leurs maris sans prendre en
Weitere Kostenlose Bücher