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La Fille Du Templier

La Fille Du Templier

Titel: La Fille Du Templier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Thibaux
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montée se poursuivit.
Le féerique château des dames épousait étroitement les restanques ; ses
pierres blanches émergeaient au-dessus des talus cinglants de genêts et des
oliviers centenaires aux reflets de bronze. Les remparts crénelés défendaient
la colline des Hautes-Côtes avec leurs tourelles surmontées d’oriflammes de
toutes les couleurs. Çà et là, des grappes de jacinthes roses et mauves
jaillissaient par dizaines de cette corne d’abondance dressée au pied de la Sainte-Baume.
    Guillaume se signa et dit tout bas :
    — Écoute, Seigneur, réponds-moi, car je suis pauvre et
malheureux en ces lieux. Veille sur moi qui suis fidèle, ô mon Dieu. Sauve Ton
serviteur qui s’appuie sur Toi et ne le soumets pas à la tentation.
    Ces bonnes paroles ne suffisaient pas. C’était le château de
tous les péchés. Le De Profundis et les six autres psaumes de pénitence
bourdonnaient dans sa tête étourdie par le vin et les parfums des dames et des
nombreuses demoiselles d’honneur venues en renfort des gardes. Il voyait se
dérouler sa vie, tout ce qu’il avait accompli, tout ce à quoi il avait assisté
au nom de Jésus-Christ et de la Vierge Marie : son noviciat à Carcassonne,
son arrivée aux Baux, les pèlerinages, les assauts, les pillages, les tortures,
les conversions et les baptêmes en masse tanguaient dans sa mémoire. Il avait
marché jusqu’à Jérusalem en 1130, croyant trouver le paradis, et son
désenchantement avait été à la mesure de ses découvertes. Les chroniques de
Foucher de Chartres se vérifiaient d’Edesse à Gaza : les Occidentaux
étaient devenus des Orientaux. Les Provençaux, les Normands et les Français d’hier
étaient à présent galiléens ou palestiniens. Les croisés avaient oublié leur
pays d’origine, leurs racines, pris pour femmes des Arméniennes, des Arabes et
des Turques ; ils n’étaient plus chrétiens. La croisade en cours menée par
Louis VII ne changerait rien aux mauvaises habitudes ; il y avait
fort à parier que les nobles et les soldats accompagnant le roi seraient
séduits par la douceur de la Terre sainte et abandonneraient toute idée de
retour dans les contrées brumeuses et froides qui les avaient vus naître. L’Orient
était un piège. Il y aurait un avant et un après croisades. De cet affrontement
entre Rome et La Mecque pour la conquête de la Jérusalem des Juifs découleraient des haines inextinguibles. Le cours de l’Histoire avait
pris une orientation tragique pour les millénaires à venir.
    Ah que la Judée était belle ! À la place du manoir, il
revit des champs de citronniers, des mers d’oliviers, des îlots de palmiers, des
pasteurs avec leurs maigres chèvres sur des montagnes pelées, des femmes
voilées autour de puits où campaient des caravanes venues de la lointaine Chine.
Des images bibliques et paisibles se succédèrent, et son cœur bondit quelques
instants tandis que le prélat imaginait une autre Jérusalem, idéale, immaculée,
vidée de ses marchands et des infidèles qui infestaient ses murs. Il se vit en
compagnie de Jésus prêchant la bonne parole, il partagea le pain avec les
apôtres. Puis les rires des femmes lui parvinrent. Le rêve s’effaça.
    — Accorde-moi le pardon, doux sire Jésus, car je vais
beaucoup penser à mal.
    À la cour d’amour, il avait vu l’animal humain sous son plus
mauvais jour et il avait fait le vœu de ne plus avoir à revivre cette
expérience. Les erreurs de Stéphanie le ramenaient au supplice. Plus personne
ne faisait cas de sa présence. Insensiblement, il s’écarta du sillage des robes.
Ne pas pénétrer dans le manoir devenait une nécessité. Il se laissa distancer, puis
absorber par les joyeux Signois. Au milieu des drôles, il se fit petit. Un
garçonnet qui le regardait de ses gros yeux curieux harcelés par les mouches
lui donna une idée.
    — Tu m’as l’air bien dégourdi.
    L’enfant cligna des paupières, jaugeant le gras bonhomme. Il
eut un sourire.
    — Tu es le saint prêcheur des Baux ? demanda-t-il
d’une voix prudente.
    — En quelque sorte… Veux-tu me rendre un service ?
    —  Quan mi dounas de touerni ?
    Ce « Que me donnes-tu en retour ? » fit
monter une rougeur à la face du chapelain. Ce petit morveux demandait salaire, alors
qu’il aurait dû s’agenouiller et baiser le bas de sa bure. Il regrettait de ne
pas être seul avec cette graine de canaille ; il l’aurait battue. Guillaume
ne répondit rien, le

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