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La Fille Du Templier

La Fille Du Templier

Titel: La Fille Du Templier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Thibaux
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compte leurs plaintes. Elle n’a
rendu aucune sentence concernant le petit peuple des campagnes. Son seul souci
était de flatter nos voisins nobles et les évêques. Son cœur est aussi aigri qu’une
terre effritée qui ne produit plus.
    Jausserande s’enflammait. La colère lui donnait une grâce
animale. Aussi mince que Bertrane, d’une beauté différente, elle paraissait
plus vivante et plus consciente de la réalité de son environnement. Elle
gesticulait au milieu des dames réservées, prenant à témoin Aubeline et Bérarde.
    — J’espère que nos deux amies de Meynarguette sauront
vous ouvrir les yeux à toutes. Elles ont l’expérience de la Bête, et c’est bien une bête qui se cache sous les traits de Delphine. Les préceptes de Dieu
sont droits, ils réjouissent le cœur ; le commandement du Seigneur est
limpide, il clarifie le regard, mais nous ne sommes que des êtres humains
perclus de péchés. Alors, je vous en conjure, soyons vigilantes. Pour ma part, je
m’en remets à l’épée d’Aubeline d’Aups et à la hache de Bérarde la Burgonde.
    Jausserande sidéra les deux guerrières. Elle continua sur le
même ton emphatique. Ses bracelets d’or sonnaient à ses poignets, ses cheveux
de feu battaient ses épaules découvertes où les taches de rousseur
apparaissaient plus nombreuses, semblables à des amas d’étoiles sombres sur la
peau nacrée. Par son père, seigneur d’Evenos, elle descendait des sauvages
Ligures ; sa mère était normande de Sicile, d’un clan qui avait ravagé l’Angleterre
puis le sud de l’Italie, avant de partir à la conquête de Jérusalem sous le
commandement du comte Tancrède. C’était là-bas que ses parents, fils et fille
de croisés, encore très jeunes avaient été unis par une alliance entre les maisons
autrefois rivales mais désormais liguées contre l’Islam. Elle vivait depuis
trois ans à la cour d’amour et nombreux étaient les chevaliers qui succombaient
à ses charmes. On lui connaissait des amants célèbres. Certains s’étaient
affrontés à mort pour ses yeux félins dans lesquels brûlaient toutes les
promesses d’amour. Les troubadours énamourés s’étaient défiés en composant de
magnifiques poèmes, et l’un, lui ayant déplu, s’était jeté du haut du donjon d’Evenos
qui dominait les gorges d’Ollioules. Mais si elle se donnait aux plus méritants,
elle refusait l’anneau qu’ils voulaient lui passer au doigt. « Je me
marierai, disait-elle, au meilleur chevalier du monde. » Et elle songeait
à Lancelot du Lac ou à Roland, ce qui laissait peu d’espoir aux prétendants de
son siècle. Cependant, tout homme portant les armes, qu’il fût espagnol, breton,
franc, teuton, bourguignon, catalan ou lorrain, rêvait d’être l’élu. Un mince
espoir persistait puisque depuis plus de cent ans d’un bout à l’autre de l’Europe
on murmurait : « Le meilleur chevalier du monde serait celui qui
retrouverait le Saint-Graal. »
    — Elle m’a traitée de catin ! poursuivit
Jausserande. Elle est jalouse de mes conquêtes. Pfttt ! Qui voudrait de
cette truie décatie ? Je te le demande. L’âge rend les gens bêtes et
méchants…
    — Tu devrais agir avec plus de mesure, la coupa
Bertrane. Ne pas t’afficher aux banquets avec tes amants. Delphine a perdu deux
époux, sa jeunesse appartient à un passé douloureux. Ton insolente beauté l’offense.
    — La tienne aussi lui ronge le foie, répliqua la
rouquine. N’as-tu pas remarqué l’œil torve qu’elle pose sur ton corps lorsque
tu te rends aux bains ?
    Bertrane ne répondit pas. Bien sûr qu’elle avait remarqué le
regard de Delphine, le lourd reproche qu’elle sentait poindre sous les cils, l’envie
et le mépris. La comtesse de Dye la flattait parfois, mais elle savait que c’était
menterie.
    La beauté était difficile à porter. À Signes, on disait « la
belle rouquine » comme on disait « la belle Bertrane ». Cela les
opposait et les rapprochait, les forçait à soutenir leur renommée devant toute
la noblesse provençale, n’en déplaise à Delphine de Dye. Cette conversation la
lassait. Il y avait des choses plus gaies à évoquer.
    Le babil de Jausserande ne tarissait pas, et comme Bertrane n’en
faisait plus cas, la demoiselle au nez pointu s’adressa à Aubeline et Bérarde. On
passa la double porte de la première enceinte, simple mur symbolique qui
abritait des jardins potagers et des parterres fleuris. La

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