La Fille Du Templier
elle tirait
en cet instant même du plaisir.
Vingt-cinq ans séparaient Eléonore de Raymond. Elle remua
soudain son cul avec fougue. Ses cheveux fouettèrent l’air, faisant trembler
les flammes de cette étrange chapelle vouée au culte de la chair. Puis elle s’étonna
du manque d’enthousiasme de son partenaire.
— Qu’as-tu donc ? Dois-je appeler l’une de tes
servantes syriennes pour ranimer ta flamme ou dois-je aller me satisfaire
ailleurs ? Un certain chevalier Baudouin n’attend que mon bon vouloir…
Elle remarqua alors la stupeur de Raymond. Son amant
regardait fixement quelque chose derrière elle. Elle se retourna.
— Qui sont ces drôles ?
Son regard se porta sur le templier. Elle détestait les
moines guerriers. Ses muscles se durcirent ; elle n’eut même pas un geste
d’instinctive pudeur lorsqu’elle se précipita nue sur le commandeur qu’elle
apostropha :
— Sais-tu où tu es ? Qui je suis ?
— Nous le savons, ma dame, répondit Jean à la place d’Othon.
Elle eut un coup d’œil meurtrier pour ce chevalier dont elle
avait reconnu l’accent. Un Provençal… Elle ne lui aurait pas même donné son
pied à baiser.
Elle était belle. Jean semblait découvrir le profil délicat
de la reine. Il avait vu des femmes peintes sur des enluminures persanes. Aucune
ne possédait ce visage parfait. Elle l’auréolait de son éclat, d’une grâce
sensuelle. Elle le frôlait du bout des seins et le rouge lui monta aux joues en
même temps qu’un désir animal. Eléonore le méprisa ; elle s’adressa à
nouveau à Othon qui restait de glace.
— Je vais vous faire pendre !
— Eléonore d’Aquitaine et de Guyenne, au nom du roi, suis-moi !
ordonna calmement le templier.
Othon avait donné le ton. Jean mit une main sur l’épaule de
la reine. Son geste était dicté par la loi, on aurait dit que le roi lui avait
attribué tous les pouvoirs et qu’il savait exactement que faire. Mais il ne
savait rien de précis. Othon pas plus que lui. Le connétable leur avait dit d’enlever
la reine et de la ramener au château de la Mahomerie en tout honneur. L’honneur était bafoué. Ses pensées incohérentes se bousculaient alors que sa main brûlait
au contact de la peau moite d’Eléonore.
— Tu entends, mon oncle ? s’écria la reine.
Raymond de Poitiers n’était ni sourd ni aveugle.
Un chevalier du roi Louis et un commandeur du Temple avaient
fait irruption dans sa chambre, l’épée à la main. Une crainte le maintenait sur
le lit où il avait fauté. Il ne pouvait rien pour sa maîtresse. Reine soumise à
son roi, elle avait oublié ses devoirs et sa dignité ; elle risquait la
répudiation [3] .
Après tout, il n’était pas allé la chercher. C’était elle qui l’avait aguiché, elle
qui lui avait fait des avances. Il s’en lavait les mains. Il songeait déjà à
faire amende honorable au roi. Demander pardon à Louis était la meilleure
solution.
Eléonore comprit. Elle avait aimé un lâche. Sa liaison s’arrêtait
là. Fière, elle se vêtit. Elle n’accorda pas un regard à son amant en quittant
la chambre.
Les hommes eurent un mouvement de recul lorsqu’elle apparut.
Eléonore les toisa un à un comme si elle ne voulait pas oublier leurs visages. Ils
quittèrent la citadelle sans rencontrer de résistance.
On lui donna un cheval. Elle attendit d’être en vue de la Mahomerie où résidait son royal époux pour adresser la parole à son ravisseur provençal, ignorant
le templier :
— Ton nom, chevalier ?
— Jean d’Agnis.
Elle le devinait tendu, mal à l’aise. Elle montra de l’intérêt
pour l’emblème cousu sur le bliaud recouvrant la cotte de mailles : une
triple flamme au-dessous d’une croix lunée.
— À quel fief appartiens-tu ?
— Au fief de Signes sur la Sainte-Baume.
— Au fief de la cour d’amour ! J’ai été enlevée
par un commandé de la douce dame au cygne ? Honte à toi, chevalier, qui as
trahi l’amour. Je saurai me souvenir de ton blason. J’ai brisé des hommes
infiniment plus puissants et plus dangereux que toi. Où que tu ailles, il y
aura toujours quelqu’un pour t’enfoncer un fer dans le cœur.
— Et moi, me briseras-tu ? demanda Othon. Je suis
aussi du fief de Signes.
Elle n’eut pas le temps de répandre son venin. La haute
silhouette du comte de Champagne, Henri, se montra. Le noble compagnon du roi, flanqué
de deux archers, demanda à la reine de le suivre,
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