La fin Allemagne 1944-1945
allemande, et pas simplement ses minorités persécutées. Parmi les soldats du rang, le nombre de déserteurs, mêlés aux « soldats perdus », monta en flèche. Les cours martiales, on l’a vu, réagirent en infligeant des châtiments exemplaires. Les cours martiales d’exception instituées à la mi-février n’étaient ni plus ni moins que des tribunaux illégaux, qui ne prononçaient guère autre chose que des peines de mort. Début mars, quand ces tribunaux devinrent itinérants, la « cour mobile » pouvait surgir dans n’importe quelle zone du front et, en l’espace de quelques minutes, condamner à mort les tire-au-flanc, les défaitistes ou les subversifs présumés et exécuter sur-le-champ la sentence. Fait remarquable, les cours martiales prononcèrent encore des condamnations à mort après la capitulation de l’Allemagne. Parmi les civils également, même à la fin, quiconque sortait du rang, fût-ce par désespoir, s’exposait à un châtiment brutal. Sous l’effet de ce climat de terreur, la population était résignée, lasse de la guerre et pessimiste, mais elle n’était pas rebelle. Qui osait élever la voix, a fortiori agir, contre le régime était aussitôt abattu. La plupart en concluaient, raisonnablement,qu’ils ne pouvaient rien faire, sinon attendre la fin et espérer que les Américains et les Britanniques arriveraient avant les Russes.
Reste que la terreur n’explique pas tout. Elle explique surtout les comportements à la base. Des dizaines de milliers de soldats désertèrent, ce qui valut à quantité d’entre eux une exécution sommaire. Mais là encore, et tout en gardant à l’esprit l’effet dissuasif plus général des châtiments qui attendaient ceux qui refusaient de combattre, l’immense majorité ne déserta pas ni n’envisagea de le faire. Les hommes continuèrent de se battre, souvent avec fatalisme, voire réticence, mais, jusque dans les dernières semaines, ils luttèrent souvent aussi avec acharnement, ou même ferveur. La terreur ne saurait expliquer à elle seule cet acharnement 1313 . Et aux échelons supérieurs de la Wehrmacht, parmi les officiers qui avaient un pouvoir de décision et de commandement, la terreur ne joua guère de rôle. Hormis ceux qui prirent part à l’attentat, les généraux ne furent pas victimes de la terreur. D’aucuns furent limogés. Pas exécutés.
Pour la population allemande, et plus encore pour les victimes raciales et politiques du nazisme, l’intensification de la terreur et les souffrances terribles ne pouvaient prendre fin tant que le régime ne serait pas détruit par la force des armes. Il faut dire que nombre de ceux qui exerçaient le pouvoir, en particulier au sommet du régime, mais aussi parmi les cadres et les représentants du Parti et de ses antennes régionales et locales, avaient compris qu’ils avaient brûlé leurs vaisseaux et n’avaient pas d’avenir. Les dirigeants du Parti et de la SS avaient pris part aux pires atrocités contre les Juifs et les autres. Goebbelsy voyait un atout, une garantie de leur fanatisme et de leur soutien au régime (souvent sous-tendus par la croyance en une féroce « vengeance juive »). Hitlervoyait les choses de la même façon. Avec la fragmentation du pouvoir, le régime nazi devint fou furieux tandis que la police, les SS et les responsables locaux et régionaux du Parti prenaient les choses en mains. Des centaines de citoyens allemands furent victimes de la violence débridée des « despérados » nazis au cours des dernières semaines du régime, souvent en tentant d’empêcher la destruction absurde de leurs villes et villages dans la poursuite des combats alors que l’ennemi approchait. Les prisonniers etles travailleurs étrangers étaient plus exposés que quiconque à ce déchaînement de violence aveugle. Et les marches forcées sans but précis de milliers de détenus des camps de concentration, dont beaucoup de Juifs, firent de nombreux morts, tandis que ceux qui en réchappaient étaient terrorisés et traumatisés.
Les « actions de despérados » menées par de nombreux activistes du Parti dans les dernières semaines reflétaient l’empressement de ceux qui se savaient sans avenir à faire disparaître leurs ennemis avec eux, à se venger de leurs vieux adversaires, à régler des comptes personnels et à s’assurer que ceux qui avaient rejeté le régime ne pourraient pas triompher à sa chute. Ces fanatiques n’étaient
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