La Fin de Fausta
se lisait si bien sur son visage que Valvert faillit éclater de rire. Moins réservés que lui, ses trois compagnons, qui avaient admiré en connaisseurs l’attitude du colosse, traduisirent tout haut leurs impressions.
– Il ne comprend pas, le pôvre ! dit Escargasse.
– Il ne sait pas ce que c’est que d’être généreux, dit Gringaille.
– Il aurait tiré, lui ! dit Landry Coquenard. Voyant qu’il se taisait toujours, Valvert reprit :
– Cependant, il me faut ce papier. Et puisque vous ne voulez pas le donner de bonne grâce, ce que je comprends très bien, je vais être forcé de vous le prendre de force.
En disant ces mots, Valvert passa son pistolet à Gringaille, tira son épée et salua avec en disant :
– Défendez-vous. Et tenez-vous bien, monsieur, car je ne vous ménagerai pas.
Cette fois, d’Albaran comprit à merveille. Il retrouva instantanément sa présence d’esprit que l’incompréhensible générosité de son adversaire lui avait fait perdre. Instantanément aussi, il se trouva l’épée à la main. Et la faisant siffler :
– Je suppose, dit-il, que c’est un combat loyal que vous m’offrez ? Et il désignait de la pointe de l’épée les trois braves qui l’entouraient toujours et qui n’avaient pas lâché leurs pistolets. Valvert leur fit signe. Obéissant à ce signe, ils passèrent le pistolet à la ceinture et allèrent tous les trois se ranger le long de la haie, où ils se tinrent immobiles et muets.
Les deux adversaires tombèrent en garde, croisèrent les fers.
En homme habile et prudent, d’Albaran se tint sur la défensive. Il ne pensait plus à tuer Valvert. Il ne pensait plus qu’à sauver le précieux papier dont la possession pouvait permettre à un audacieux de s’approprier ces millions venus de si loin. Et comme il était un escrimeur de première force, il se flattait d’en venir à bout, dût-il, en ferraillant, chercher le papier dans le pourpoint et l’avaler.
Selon une méthode qu’il tenait de Pardaillan, Valvert attaqua tout de suite par une série de coups droits foudroyants. D’Albaran dut reculer plusieurs fois. Mais, tout en reculant, il se défendait avec une vigueur et une adresse qui tinrent un instant l’assaillant en respect. Du moins, il le crut, lui.
En réalité, les coups que lui portait Valvert étaient destinés à sonder sa force. Cela, il ne le comprit pas. Mais ce qu’il comprit très bien, par exemple, c’est qu’il avait affaire à un adversaire redoutable et qu’il devait jouer plus serré que jamais. Il le comprit même si bien que, sans plus tarder, sa main gauche se mit à fourrager le pourpoint pour le dégrafer.
Valvert n’eut pas l’air de remarquer ce geste significatif. Selon une autre méthode de Pardaillan, il se mit à parler : manière de distraire l’adversaire et de l’amener à commettre une faute.
– Ne croyez pas, au moins, dit-il, que mon intention est de m’approprier les millions de M me de Sorrientès.
– Que vous dites ! railla d’Albaran en parant toujours.
– Je le dis parce que cela est. Ces millions sont destinés à un autre.
– Bah ! Qui donc ?
– Au roi, monsieur. Ces millions étaient destinés à le combattre. Ils lui serviront à se défendre, c’est de bonne guerre.
– Il ne les tient pas encore.
– Non. Mais il les aura ce soir. Je tenais à vous dire cela, à seule fin que vous puissiez le répéter à votre maîtresse. Par la même occasion, dites-lui que, dans cette affaire, je ne suis que le représentant de M. de Pardaillan. C’est lui qui, par ma main, lui prend cet argent pour le donner au roi. Et maintenant que vous savez cela, finissons…
En même temps, il se fendit à fond.
D’Albaran laissa échapper son épée et s’affaissa en poussant un cri sourd.
Valvert se baissait déjà vers d’Albaran. A ce moment il entendit une voix furieuse :
– Larron ! hurlait-on.
– Prenez garde ! crièrent trois voix inquiètes.
Il se sentit happé, enlevé avec une force irrésistible, rejeté rudement en arrière. En même temps, il entendait une voix, qu’il reconnut sur-le-champ pour être celle de Pardaillan, qui disait :
– Doucement, jeune homme ! Que diable, on ne frappe pas ainsi les gens par-derrière !
Il fut aussitôt debout. A la place dont il venait de l’arracher fort à propos, près du corps inanimé de d’Albaran, se tenait le chevalier de Pardaillan. De sa flamboyante rapière
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