La Fin de Fausta
la parole.
– A dieu ne plaise que je vous laisse vous sacrifier pour moi que vous ne connaissez pas, en somme. Voyons, combien la duchesse de Sorrientès vous a-t-elle offert ?
– Cinquante mille livres, monseigneur, lança La Gorelle tout d’une haleine.
Elle mentait impudemment. Cinquante mille livres, c’est ce qu’elle aurait demandé, si ses calculs n’avaient pas été bouleverses par l’attitude imprévue et singulièrement inquiétante de Léonora. Cinquante mille livres, cela représentait juste le double de la somme promise par Fausta.
Ayant lancé ce chiffre qui lui paraissait énorme, elle attendit la réponse avec une anxiété qui la faisait haleter. Et comme il lui semblait que cette réponse se faisait un peu attendre, elle se tourmentait :
« Il hésite !… Le ladre !… Sainte Vierge de Dieu, je suis perdue !… Sainte Thomasse, ma vénérée patronne, faites qu’il m’offre seulement la moitié, afin que je ne perde rien, et vous aurez un beau cierge d’une livre !… »
Elle se trompait ; Concini n’hésita pas. Seulement, le prestigieux comédien qu’il était, ne laissant passer aucune occasion de se manifester, prenait son temps pour produire son effet. Il laissa enfin tomber :
– Je vous donnerai le double. Soit cent mille livres.
On peut croire qu’il ne fut pas manqué, son effet. La Gorelle, qui s’attendait au marchandage, fut assommée par ce chiffre. Sous le coup de cette première impression, elle fléchit les genoux, avec autant de vénération que si elle avait été devant le saint sacrement. Et joignant les mains, extasiée, les yeux luisants comme des braisés, dans un élan, elle célébra :
– Ah ! monseigneur, Dieu lui-même ne se montrerait pas aussi généreux que vous !…
– A une condition, ajouta Concini.
Elle se redressa, et sans hésiter, avec un accent intraduisible :
– Que faut-il faire ?
Concini et Léonora sourirent, satisfaits ; ils la sentaient prête à tout, aux plus basses comme aux plus terribles besognes.
– Nous vous le dirons quand le moment sera venu, déclara Concini avec désinvolture.
Et il crut devoir ajouter :
– Ce moment ne saurait guère tarder : quelques jours… quelques semaines tout au plus. Nous vous ferons connaître alors ce que nous attendons de vous, et les cent mille livres promises vous seront comptées séance tenante.
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Chapitre 20 STOCCO ET LA GORELLE
D éjà le prodigieux effet produit par la royale générosité de Concini s’effaçait. La Gorelle se ressaisissait. Son insatiable cupidité reprenait le dessus. Un instant éblouie, elle se lamentait déjà :
« Ouais ! il me semble qu’ils ont plus besoin de moi que je n’ai besoin d’eux !… Je suis une sotte, une balourde !… J’aurais dû réclamer cent mille livres !… Il aurait tout aussi bien doublé la somme… pour ce que l’argent lui coûte, à ce ruffian !… Jésus ! je me suis stupidement pillée moi-même !… Cent mille livres que je perds par ma niaise discrétion !… Je ne survivrai pas à ce désastre… à moins que je ne réussisse à le réparer… tout au moins en partie !… »
Et, tout haut, elle gémit lamentablement :
– Quelques semaines, mais c’est ma mort assurée !… Vous oubliez, monseigneur, que je suis pauvre, plus pauvre que le Job des saintes Ecritures !… Je vais crever de faim, attendu que je n’aurai jamais le front de retourner chez M me la duchesse pendant ce temps.
– Qu’à cela ne tienne, intervint Léonora avec vivacité, vous logerez ici, chez nous. Je vous prends à mon service.
– Aux mêmes gages que me donnait M me la duchesse ?
Toute à son idée fixe, aveuglée par son incroyable rapacité, La Gorelle ne s’apercevait pas qu’elle était en train de s’enferrer, de commettre une imprudence qui pouvait avoir les plus funestes conséquences pour elle. Pour quelques misérables centaines de livres qu’elle espérait lui extorquer, elle allait au-devant du désir de Léonora qui, tout comme Fausta, voulait la garder sous la main, et elle se livrait à elle pieds et poings liés.
Souriant d’un sourire inquiétant, qui eût dû la mettre en garde, Léonora, enchantée de voir qu’elle venait d’elle-même là où elle voulait l’amener, n’hésita pas plus que n’avait hésité Concini.
– Je ne veux pas être moins généreuse que mon époux, dit-elle. Je double les gages que vous receviez chez M me
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